Durant les années 80, Depeche mode a sorti six albums qui étaient dans la plus pure veine de la new wave ou de la « synthpop » , avec une omniprésence des synthés et des boîtes à rythme. Ils contiennent des tubes à la pelle, que je trouve sympa de réentendre de temps en temps. Mais mis à part quelques bijoux comme « Never let me down again » , ce n’est pas un style de musique que j’adore.
Mais en 1990, l’album « Violator » a constitué une évolution nette dans le style du groupe. Mieux produit, et surtout beaucoup plus varié musicalement (le blues « Personal Jesus » , le superbe « Waiting for the night » que j’ai partagé cet hiver…), il est souvent considéré comme le meilleur album de Depeche mode, aussi bien par la critique que par le grand public (gros succès commercial avec 9 millions de disques vendus).
Il paraît qu’initialement, lorsque Martin Gore a apporté la maquette de « Enjoy the silence » , c’était une balade au rythme lent, qui devait être jouée à l’harmonium. Mais très vite, les producteurs et les deux autres membres du groupe ont proposé d’en accélérer le rythme et d’ajouter une petite phrase mélodique à la guitare, jouée successivement sur plusieurs octaves différentes, et redoublée au clavier. Totalement transfiguré, le morceau est alors devenu beaucoup plus dansant et entraînant, avec une mélodie simple, évidente et hypnotisante, une ligne de basse puissante, et une voix claire et aérienne. En interview, le chanteur Dave Gahan a raconté ainsi l’impression qu’il a éprouvée une fois l’enregistrement terminé: « Ça coulait tout seul. Tout semblait parfaitement coller. Nous n’avons rien forcé pour obtenir cela: c’est arrivé tout simplement, de loin un de nos plus grands moments » .
Bien en a pris à Martin Gore d’être ouvert à ces propositions de changements: « Enjoy the silence » a fait un énorme carton, au point d’être sans doute devenu le titre plus célèbre de Depeche mode – et pour ma part, l’un de mes préférés.
Le texte n’est pas en reste, et il est l’une des raisons pour lesquelles j’aime tant cette chanson. Bien qu’il semble très clair, sa signification est un peu mystérieuse. On peut penser qu’il s’agit d’une espèce de méditation new wave, en tous cas d’une invitation au silence, puisqu’elle décrit les mots comme inutiles (« unnecessary » ) , ou pire encore comme des sources de blessures (« They can only do harm » ).
Mais la chanson peut aussi évoquer la plénitude que l’on éprouve lorsqu’une relation amoureuse fonctionne et ne procure que de la paix et de la joie.
Ou bien (interprétation plus sombre) il s’agit des sensations planantes générées par l’usage des drogues, auxquelles Dave Gahan est devenu totalement addict dans les années 90, jusqu’à plonger littéralement dans les ténèbres et tenter de se suicider.
En tous cas, le côté légèrement mélancolique de la musique et de la mélodie (ce n’était pas pour rien une balade au départ, la guitare est légèrement syncopée…) fait que chacun peut en faire l’interprétation qui lui convient…
Si « Enjoy the silence » a beaucoup marqué, c’est aussi pour son magnifique clip inspiré par « Le Petit Prince » de Saint-Exupéry (l’un de mes livres préférés): on y voit Dave Gahan, vêtu d’un habit royal et la tête couverte d’une couronne, arpenter des paysages désolés ou désertiques avec une chaise à la main, comme s’il cherchait LE lieu idéal pour se poser, au calme et en silence. Le lieu où il pourra se dire que rien ne manque, ou mieux encore que tout est là.
Ce que nous cherchons toutes et tous, sans doute.
« All I ever wanted,
all I ever needed
is here in my arms
Words are very unnecessary »