Led Zeppelin – « Starway to heaven »

[une chanson construite comme un rapport sexuel : des longs et doux préliminaires, une lente montée du désir, les affaires sérieuses qui commencent vers le milieu de la chanson, un solo de guitare dantesque et orgasmique.

« Led Zep » fait partie de ces groupes qui suscitent chez beaucoup de leurs aficionados une espèce d’idolâtrie, comme si c’était un monstre sacré, LE groupe ultime, celui dont on pourrait se contenter de tous les disques, de toutes les faces B et les bandes non publiées, ou bien celui qu’on voudrait « emporter sur une île déserte » , ou écouter une dernière fois juste avant de mourir. On peut lire dans les commentaires YouTube de cette vidéo ce dialogue imaginaire que je trouve assez rigolo, laissant entendre que Dieu lui-même ne peut être qu’un fan absolu:

– Doctor: « U have 5 min to live »

– Me: « I want to listen to Stairway to heaven »

– Doctor: « But that’s 8 min »

– God: « I’s okay »

Je ne suis pas un grand connaisseur de ce groupe, et à vrai dire je n’ai qu’un seul album (qu’on a pris l’habitude d’appeler « Led Zeppelin IV » ) , paru en 1971. Dans l’une des chroniques que j’ai lues pour préparer ce texte, il est écrit que cet album est « la bible du hard rock, son monolithe divin, sa pierre de Rosée sacrée » . Dave Grohl, le batteur de Nirvana, s’est fait tatouer sur le poignet le symbole de John Bonham, lui-même batteur de Led Zep. Ce genre de formules ou d’anecdotes sont très révélatrices de l’incroyable dévotion que les fans les plus enthousiastes vouent à cet album. Pour certains, toute l’histoire du hard-rock est déjà contenue en germe dans « Led Zeppelin IV » , monument colossal d’emblée indépassable, et même inatteignable.

Pour ma part ce n’était pas le genre de musique que j’écoutais quand j’étais ado puis jeune adulte, et comme c’est à cette époque-là que le goût se forme et se cristallise, peut-être que c’est trop tard aujourd’hui pour en devenir vraiment amateur.

Mais quand même, quel album.

Et surtout, quelle chanson grandiose à tous points de vue… Presque unanimement célébrée comme l’une des plus marquantes et influentes de l’histoire du rock, placée très haut dans quasiment tous les classements des « meilleures chansons » ou des « chansons du siècle » , c’est une espèce d’emblème ou d’étendard du rock, et j’ai pour elle une grande admiration.

Ce qui marque, d’abord, c’est sa longueur (un tout petit peu plus de huit minutes), et plus encore sa structure musicale très originale: il n’y a pas de refrain (juste quelques vers qui reviennent de ci de là), mais plusieurs parties différentes qui s’enchaînent subtilement pour aller vers une lente montée en puissance, avec une explosion finale. « Starway to heaven » est un univers en soi, dans lequel on entre progressivement.

Ça commence tranquillement par un arpège à la guitare sèche, tellement simple et limpide que des millions d’ados ont appris à jouer de la guitare en s’entraînant sur ces notes. Il y a même une blague qui dit que c’est désormais interdit de jouer cette intro dans les magasins de musique, car les vendeurs n’en peuvent plus de l’entendre massacrée par des débutants besogneux et malhabiles (cette scène apparaît en tous cas dans le film « Wayne’s World » de 1992, où un vendeur stoppe net le héros en lui montrant un panneau « No Stairway to Heaven » ).

Au bout de treize secondes, cette guitare acoustique est rejointe par une flûte à bec délicate, qui semble issue d’un autre monde. Si on découvre la chanson sans savoir de qui elle est et de quand elle date, les premiers instants pourraient presque laisser croire qu’on est pris dans les préparations d’un banquet ou d’un mariage à la cour d’un prince médiéval.

Ensuite arrive la voix de Robert Plant, et pendant 2’13 la chanson se résume à un trio calme, discret et timide, qui nous offre un folk champêtre, parfait pour un feu de camp sur la plage, ou mieux encore pour une fête de la Saint-Jean.

Et puis une deuxième guitare, électrique cette fois, entre en scène. Elle a beau être très mélodieuse, elle ajoute une énergie beaucoup plus dynamique, et d’ailleurs la voix se fait plus claire et forte, notamment pour chanter la litanie de « makes me wonder » que l’on a tous dans l’oreille.

À 4’18 (seulement!), c’est à la batterie de faire son apparition, et la partie centrale du morceau devient alors plus rythmée (forcément), plus animée, plus tonique.

Et enfin ça s’envole à 5’55, hissé par une guitare électrique plus stridente qui part dans un solo dantesque de 70 secondes, puis par la voix qui elle aussi se fait agressive et même criarde… avant de se retrouver subitement seule pour clore la chanson, a capella, sur un ton à nouveau paisible mais aussi un peu désolé, presque plaintif: « And she’s buying a stairway to heaven. »

Musicalement, c’est l’un des morceaux les plus beaux, subtils, riches et foisonnants que je connaisse. Au début ce sont des troubadours qui nous susurrent paisiblement des mots doux à l’oreille, et après une partie centrale beaucoup plus rock, on finit avec une esthétique musicale proche du hard ou du metal, dont Led Zeppelin a été l’un des principaux « founding fathers » . Ce long et lent crescendo, l’utilisation d’instruments originaux (notamment la flûte à bec), la variété et la complexité des mélodies, la longueur du solo de guitare électrique, le fait que musicalement et vocalement ça finisse par partir dans tous les sens et par exploser en feu d’artifice, tout cela fait que beaucoup voient dans « Starway to heaven » un morceau précurseur de ce qui sera, quelques années plus tard, le rock progressif de Pink Floyd par exemple.

Bref, musicalement c’est une chanson sublime – une merveille, pour jouer sur le mot « wonder » 😉

Si « Starway to heaven » a tant marqué l’histoire de la musique, c’est aussi pour le texte mystérieux de Robert Plant, qui a suscité bien des fantasmes et des polémiques, en faisant s’étrangler les ligues de vertu.

Certains groupes religieux ont essayé d’interdire la chanson au motif qu’en la passant à l’envers on peut entendre un message diabolique (« Here’s my sweet Satan » ) , ce à quoi le groupe et les producteurs répondront avec ironie en renvoyant ces détectives de pacotille à leur propre paranoïa (« Nos platines ne tournent que dans un seul sens – à l’endroit » ).

Si ces obsédés du démon ont été facilement renvoyés dans les cordes, il reste que le texte n’est pas limpide pour autant, loin de là. Ça parle d’une femme « qui brille de lumière blanche » et qui, certaine que « tout ce qui brille est de l’or » , « achète un escalier vers le paradis » . C’est peut-être une référence à l’échelle de Jacob qui est décrite dans le livre de la Genèse de l’Ancien Testament – cette échelle qui reliait la terre au ciel et que les anges empruntaient pour se rendre chez les humains. Ou bien c’est, plus prosaïquement, une allusion aux expériences que les drogues peuvent générer (le fait de « planer » ). Ou bien encore ça parle des transports amoureux qui nous emmènent au septième ciel. Qui sait.

La suite est encore plus obscure (ou si on veut « psychédélique » , ou « surréaliste » , ce qui est souvent une façon élégante de dire qu’on n’y comprend que dalle). Qui est cet oiseau qui chante « près du ruisseau » ? Pourquoi y a-t-il « de l’agitation dans ta haie » , et qu’est-ce que ce « nettoyage de printemps pour la Reine » est censé être ? Que sont ces « cernes de fumées à travers les arbres » ? Mystère et boules de gomme.

Mais à vrai dire, « Starway to heaven » est une chanson est tellement fabuleuse que je me moque un peu de ce qu’elle signifie: elle est en elle-même un escalier pour le paradis, et il suffit de l’écouter attentivement pour être conquis et emporté: « And if you listen very hard / the tune will come to you at last » .

Allez, j’ai assez écrit, maintenant je vous laisser goûter le plaisir de réécouter cette chanson qui, comme le disent parfaitement ces deux vers (et pour le coup de façon on ne plus limpide), ouvre sur un autre monde:

« Yes, there are two paths you can go by, but in the long run

there’s still time to change the road you’re on »

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