Jean-Louis Murat – « Je n’ai plus que toi, animal »

L’une des choses qui me touchent le plus chez Jean-Louis Murat, c’est la façon dont il utilise l’évocation de la nature pour exprimer des émotions intenses et vibrantes (le critique musical Daniel Labeyrie a parlé de « beauté frissonnante » , c’est tellement juste).

Jean-Louis Bergheaud a grandi en Auvergne et il a passé beaucoup de temps dans la ferme isolée de ses grands-parents, à Murat-le-Quaire, une petite ville dont il a ensuite choisi de prendre le nom en tant qu’artiste.

Il vit encore dans cette région, en pleine nature, et il est viscéralement attaché à ce territoire, à ses reliefs, à ses paysages, à sa faune, à ses vents, à la rudesse de son climat, à sa lumière. Ce n’est donc pas étonnant qu’il y puise une grande partie de son inspiration et que ses textes parlent de « congère » , de « jachère » , d' »oeillets » , de « reine des prés » , « d’airelles » , de « lichen » , de « troupeau » , de « chevaux » , d' »éperviers » , de « lapin de garenne » , de « renard » , de « musaraigne » , de « papillons » , de « cerfs » , « de « loup sous la voie lactée » , de « vipères » , du « chien de l’espace« … Dans « Paradis perdu » , Murat chante « Je rêve d’une musique pour tous les animaux » , et de fait son œuvre prend souvent l’air d’une arche de Noé musicale, d’un bestiaire enchanté qu’il dépeint avec une plume simple, tranchante et lyrique.

Dans cette superbe et déroutante chanson, qui ouvre l’album « Le manteau de pluie » , Murat va plus loin dans l’expression de son amour et de sa fascination pour la nature, puisqu’il y est carrément immergé lorsqu’il l’enregistre, et il nous y plonge d’emblée.

Comme souvent, cela commence par une longue nappe de synthé cotonneuse, bientôt trouée par de drôles de sons – une porte qui grince, quelques chants d’oiseaux, un enfant qui fredonne quelques mots dans une langue mystérieuse… Cette intro trace une frontière, elle marque l’entrée dans un univers musical à part, elle prépare l’oreille et le coeur à un voyage initiatique et intrigant (la chanson, et l’album).

Puis la musique s’impose à nouveau, doucement, et elle se fait de plus en plus puissante, touffue comme une forêt sur les contreforts du col de la Croix-Morand, massive comme les volcans endormis du Mont-Dore.

Et lorsque la voix chaude et sensuelle de Jean-Louis Murat entre en scène, c’est pour réciter un texte simplissime, une sorte de mantra répété trois fois, comme une litanie: « Vois comme je vis mal / Je n’ai plus que toi, animal… » Par ces mots, il implore le vivant de continuer à lui offrir le cadre apaisant et merveilleux dont il a besoin pour garder le goût de vivre, pour supporter le côté décevant de l’existence et de la vie sociale.

Et puis la chanson se termine par le fracas de la pluie qui frappe sur le sol, violente comme une averse d’été, mais apaisante aussi, pendant que le nuage de synthé se déchire et se dissipe.

Et le silence se fait, comme une invitation au recueillement et à la contemplation. Après trois minutes de voyage sonore et spirituel, retour au réel.

Comme toujours, l’auvergnat bougon et ombrageux n’est pas avare d’émotions, et c’est pour ça que je l’aime tant…

Pendant l’année qui vient de s’écouler, que j’ai passée seul à la campagne, j’ai souvent pensé à cette chanson douloureuse et magnifique, qui exprime avec ferveur et vulnérabilité le sentiment de souffrance et de solitude, le besoin de liens avec le monde qui nous entoure et avec les êtres qui le peuplent et l’animent, et l’ardent souhait d’un refuge où l’on se sente enfin en paix, avec eux, et peut-être surtout avec soi.

« Vois

comme je vis mal…

Je n’ai plus que toi, animal »

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