Talk Talk – « Living in another world »

Le sentiment de vivre dans un monde un peu à part m’a longtemps accompagné, très jeune déjà.

Avec la prise de conscience de la catastrophe écologique et des effondrements en cours et à venir, il y a une quinzaine d’années, ce sentiment a été redoublé: mais bon sang, comment tous ces gens peuvent-ils ne pas voir ce qui se passe, ce qui nous arrive déjà, et ce qui nous attend ? Comment peut-on avoir à ce point les yeux et les oreilles bouchées ? Comment peut-on refuser de comprendre avec tant d’obstination, ou même d’acharnement ?

J’avais alors, et j’ai encore souvent, l’impression de vivre avec quelques années d’avance (comme si j’avais déjà assisté à la fin de la tragédie), d’être un étranger dans ce monde qui se désagrège et s’effondre, et d’être déjà projeté dans celui qui se profile à l’horizon, avec une sorte de décalage temporel très douloureux.

Alors ce titre, et cet appel (« Help me find away from this maze » ) , ils ont toujours résonné très fort en moi.

Musicalement, le talent mélodique est ici éclatant. Une intro époustouflante (ça démarre d’un coup sec avec en même temps le piano, la guitare sèche, les claviers et les percussions), une ligne de basse puissante qui apparaît pour soutenir cet appel au secours et le refrain, un harmonica furieux et indomptable comme un cheval de rodéo à partir de 3’54 (après une quinzaine de secondes de montée en tension via la batterie et les percussions), et puis la voix étrange et légèrement nasillarde de Mark Hollis… Tout cela est à la fois élégant et farouche, vulnérable et fier.

Au final, cela donne une chanson qui m’a toujours emmené loin, et qui me donne le sentiment que d’autres m’y attendent, et que d’autres m’y rejoindront.

Il y a quelques années, je venais de passer mon premier été dans le Limousin à dormir à la fraîche la maison grande ouverte, au son des brebis de la pâture, de la chouette effraie, des grenouilles de l’étang tout proche, du vent qui bruissait dans les arbres…

Et puis quand l’heure de la rentrée des amphis avait sonné, à l’occasion d’un trajet vers Lille, j’avais traversé Paris à pied entre deux gares. Des voitures, des motos, des camions, des coups de klaxon, des travaux, des sons stridents, des cris, des odeurs désagréables, une chaleur étouffante, et partout des gens qui s’agitent, qui se dépêchent, qui s’agacent dans les bouchons, qui parlent fort au téléphone, qui marchent courbés sur leur smartphone, qui se bousculent ou se contournent mais qui ne se regardent pas, ni ne se parlent…

Tout à coup, j’avais repensé à cette chanson de Talk Talk. Quel sens y a-t-il à vivre dans un tel cadre ?

« Living in another world » , quel soulagement, finalement…

« Better parted

I see people crying there

Truth gets harder

There’s no sense in lying there »

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