Archive – « Darkroom »

Sorti en 1996, l’album « Londinium » est le premier d’Archive, et comme on dit, pour un coup d’essai c’est un coup de maître, avec plusieurs chansons splendides entre lesquelles j’ai eu bien du mal à choisir (j’adore aussi l’instrumental « Old artist » , et « Londinium » , et « All time » , et « So few words » , et « Nothing else »… tout, en fait).

La composition du groupe a beaucoup changé avec les années, et son style musical avec: il a connu des inflexions vers la musique électronique, ou le trip-hop, ou le rock progressif (notamment sur « You all look the same to me » , et déjà sur cet album, la guitare de « Headspace » évoque clairement celle du « Shine on your crazy diamond » de Pink Floyd).

Tout au long de ce premier album « Londinium » , on est clairement dans l’orbite du trip-hop, qui est un genre musical que j’écoute de plus en plus. Comme chez Portishead ou Massive Attack, on a ici un mélange de froideur et de distance (via les synthés et les samples électroniques), et de chaleur et de sensualité (via les voix et les rythmes chaloupés qui invitent irrésistiblement à gigoter dans tous les sens). Mais je trouve que le résultat est plus prenant encore, plus puissant, plus hypnotique.

Sur « Man made » , par exemple, le violon, les samples, les boucles et les sons distordus, plaintifs, lancinants, installent petit à petit une atmosphère troublante, dansante et sensuelle, mais aussi assez malaisante, notamment lorsque les synthés semblent monter interminablement vers les aigus, ce qui arrive plusieurs fois sur le disque. J’ai lu quelque part un commentaire disant qu’on est « déconnecté de notre réalité, submergé d’une vague de chaleur froide » , « on perd pied » , avec un « sentiment de claustrophobie à la limite du malaise mental » . Ça me semble très juste, et j’aime beaucoup cette ambiance un peu oppressante. D’ailleurs c’est revendiqué par l’un des membres les plus assidus d’Archive, Darius Keeler, qui a dit en interview que « la création est avant tout l’aboutissement d’une démarche personnelle, claustrale et obsessive » .

La chanson que j’ai finalement choisi de présenter ce soir, « Darkroom » , est un sommet himalayen du trip hop, plus sage et mélodieux que le reste de l’album, mais qui assemble à la perfection toutes les caractéristiques du genre.

C’est planant, grâce à la ligne de synthé et à la petite mélodie candide au clavier qui ouvre la chanson, et qui revient ensuite comme un gimmick jusqu’au bout.

C’est sensuel et langoureux, grâce à la voix incarnée et envoûtante de la chanteuse britannique d’origine iranienne Roya Arab.

C’est rythmé et dansant, grâce au sample de beat électro qui tourne en boucle toute la chanson à partir de 0’22, tel un gymnaste rebondissant inlassablement sur un trampoline et tout excité d’avoir découvert le mouvement perpétuel.

Et puis c’est tranchant et énergique, grâce au flow de Rosko John, un jeune londonien formé au rap qui s’empare avec autorité du micro à 1’18.

Quand ce flow (en deux parties) se termine, à 3’40, la vague de synthé revient, plus stridente, plus torturée, plus impérieuse aussi, appelant notre attention sur la voix enveloppante de Roya Arab, qui vient adoucir et calmer tout son monde.

Au total, ça donne une perfection de morceau trip hop, parfait à la fois pour donner la pêche ou pour inviter à la méditation, et ce dans à peu près n’importe quelle activité – pour danser, pour faire le ménage ou la cuisine, pour rouler en voiture la nuit tombante, pour arroser son jardin, ou pour tout ce que vous voulez d’autre.

« So I’ll try, I’ll try to hear what I like

And I’ll try to hide what I fear »

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