The Durutti Column – « Tomorrow »

Aujourd’hui je partage un morceau d’un artiste que que je n’aurais sans doute jamais connu si je n’avais pas rencontré Elric il y a plus de trente ans à Grenoble. À l’époque je n’avais qu’un radio-cassettes Grundig sur lequel je faisais tourner en boucle trois ou quatre dizaines de cassettes, et tout d’un coup, j’ai découvert le classique, le jazz, le rock et la pop indé de l’époque… et quelques artistes plus secrets.

Durutti Column, c’est à l’origine un trio mancunien dont le leader est le guitariste Viny Reilly, mais l’influence de ce dernier est telle, et la présence des autres est si irrégulière, qu’en réalité c’est plus ou moins un nom de scène qu’il s’est choisi pour lui-même.

Le nom du groupe fait référence à la première armée de volontaires anarchistes partie de Barcelone en 1936 pour combattre les franquistes, emmenée par un certain Buenaventura Durruti. Cela dit bien des choses sur le positionnement du groupe par rapport au succès et au grand public. Viny Reilly raconte que quand il a enregistré ses premières chansons, il ne savait même pas que ça deviendrait un album, et que le fait de pouvoir jouer de la guitare dans un studio d’enregistrement suffisait déjà à son bonheur. Cette anecdote colle assez bien à son physique androgyne, diaphane, presque transparent – on l’imagine bien passer du temps dans une pièce sans être repéré, perdu qu’il est dans ses rêveries. En 1995, Viny Reilly a aussi dit qu’il devait la vie sauve au faible succès de ses albums, sans quoi il se serait sans doute égaré. Durutti Column est une sorte de météore lumineux qui n’a que faire de l’impression qu’il produit sur celles et ceux qui le regardent, et qui se plaît à simplement rayonner.

Viny Reilly a appris la musique au piano, mais son instrument préféré est la guitare (un des albums s’appelle d’ailleurs « The guitar and other machines ») , pour laquelle il est autodidacte. Cela explique un jeu et des compositions originales, le plus souvent instrumentales (comme sur le très beau « Sketch for summer ») , avec « un soupçon de trucs expérimentaux » , des boîtes à rythme subtiles, une utilisation fréquente du piano, du violon ou du violoncelle, parfois de la trompette ou du saxophone (comme ici), et toujours, c’est la marque de fabrique du groupe, un son de guitare délicat, aérien, cristallin. Le groupe est né dans la période post-punk et il s’en démarque nettement: il n’est pas là pour faire du boucan ni pour effrayer le bourgeois, mais pour explorer l’âme humaine et en exprimer les émotions, comme les impressionnistes peignaient à tout petits coups de pinceau, précautionneusement. Comme l’a dit Viny Reilly à propos de son premier producteur, « il savait que je voulais jouer de la guitare électrique, mais que je ne voulais pas le résultat horriblement distordu de la guitare électrique de base » .

S’il fallait classer Durutti Column, ce serait donc plutôt dans la cold wave, cette new wave ralentie et éthérée qui est un parfait cadre d’expression pour le romantisme et la mélancolie.

Et c’est justement de ça qu’il est question avec « Tomorrow » . C’est une chanson d’une beauté ensorcelante, vénéneuse et désarmante, sur une promesse d’amour qui n’a pas été tenue, et sur la tristesse qui s’est accumulée à attendre en vain qu’elle le soit.

Peut-être n’a-t-elle jamais été prononcée, cette promesse ? Peut-être a-t-elle juste été imaginée, rêvée, fantasmée ?

Toujours est-il que la fin de la chanson, écrite au passé (« I’ve been waiting for you for so long« ) , laisse penser que celui qui chante a compris au bout d’un moment, de guerre lasse, que ce n’est plus la peine d’attendre, et qu’il est temps, même si c’est le coeur lourd, de passer à autre chose…

« All I wanted was your time

All you ever gave me was tomorrow

And tomorrow never comes »

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