The Stones Roses, c’est un groupe anglais apparu dans les années 80, formé notamment de deux amis d’enfance qui se sont connus dans les bagarres de cours d’école, Ian Brown le chanteur et John Squire le guitariste.
Le groupe a longtemps galéré avant de sortir en 1989 un premier album éponyme, qui a été reçu de façon enthousiaste par pas mal de critiques musicaux, comme le journaliste Bob Stanley: « C’est tout simplement le meilleur premier album que j’aie jamais entendu depuis que j’achète des disques. Oubliez tout le reste. Oubliez d’aller au boulot demain. » Bigre.
Aujourd’hui encore, le groupe est adulé par beaucoup, reconnu comme l’un des représentants principaux, et l’un des plus inspirants, de ce qu’on avait alors appelé la « nouvelle scène de Manchester » , incroyablement fertile (Joy Division, New Order, The Smiths, The Stone Roses, Oasis, Happy Mondays, The Fall…). La plupart de ces groupes étaient formés de jeunes gens issus des classe populaires qui, en réaction à la vie morne qu’ils avaient menée dans cette ville plutôt grisâtre, dans un contexte de profonde crise économique et de thatchérisme brutal, essayaient de créer un mélange de rock indé et de rythmes dancefloor et désinvoltes, parfaits pour faire la fête.
On parlait aussi à l’époque de « Madchester » , en référence à la dinguerie de beaucoup de ces groupes, à leur goût pour les raves parties et la défonce (« acid house » , disait-on souvent), à leurs engueulades monstres, à leur folle arrogance, à leurs attitudes souvent ingérables en interviews, etc. Sur les friches industrielles de Manchester sont nées des fleurs insolentes et vénéneuses – notamment ces roses de pierre.
La formule « Madchester » a été inventée par les Happy Mondays, mais elle s’applique assez bien aussi aux Stone Roses, au moins pour leur caractère (pour le reste c’est plus nuancé). La légende raconte par exemple que le groupe a refusé d’assurer les premières parties de New Order et des Pixies, et que l’un de ses porte-paroles l’a justifié avec une arrogance assez stupéfiante: » Les Stone Roses n’ont jamais fait la première partie de qui que ce soit de leur vie et ne voient aucune raison pour laquelle ils le feraient maintenant. » Une autre anecdote ? Lors de leur première prestation sur BBC, le groupe a été interrompu par une coupure de courant, et lorsque la présentatrice a repris le cours de l’émission en présentant ses excuses au public, on a entendu Ian Brown maugréer « La BBC nous fait perdre notre temps! Amateurs! » Encore une ? Ian Brown a déclaré dans une interview au Guardian que la « mission originelle » des Stone Roses était de débarrasser le monde de groupes comme U2.
Musicalement, le style des Stone Roses est parfois un peu similaire à celui des Happy Mondays dont j’avais partagé un morceau récemment, quoique beaucoup moins hédoniste et festif. Une rythmique souvent trépidante qui lorgne parfois vers le funky, une façon très sensuelle de chanter, des guitares électriques subtiles et/ou torturées (et souvent branchées sur des pédales wah wah), des lignes de basse massives, parfois des percussions africaines… On mélange tout ça au shaker, et ça donne des morceaux dansants, obsédants et très sexy, comme par exemple « Fools Gold » , leur plus grand tube.
Le son de « I wanna be adored » , qui ouvre l’album, est assez différent. Ce qui frappe ici, c’est d’abord la ligne de basse, qui émerge en premier du brouillard après trente secondes d’une curieuse intro faite de bruits furtifs, lointains et difficiles à identifier (quelle drôle de façon d’ouvrir un premier album!). Cette ligne de basse est d’abord subtile et intrigante, puis elle se fait puissante et omniprésente, au point d’être la clé de voûte sur laquelle repose l’ensemble du morceau.
Là dessus viennent se greffer petit à petit une guitare au son clair, puis d’autres guitares plus agressives et une batterie lancinante. Au terme d’une lente montée en puissance, tout cela s’excite ensemble lors d’une sorte de refrain musical qui arrive à 3’01, et qui est le point culminant de « I wanna be adored » , comme une espèce d’orgasme sonore.
Quant au texte, il est on ne peut plus simple et d’un nombrilisme étonnamment décomplexé: Ian Brown chante quelques mots pour dire qu’il n’a pas besoin de vendre son âme au diable puisque celui-ci s’est déjà emparé de lui, et pour le reste c’est un mantra répété encore et encore (« I wanna, I wanna / I wanna be adored » ), jusqu’à plus soif. Il exprime cette immense faim d’être aimé avec une voix douce et effacée – arrogante aussi, mais de cette arrogance que je trouve aujourd’hui fragile et émouvante, car on soupçonne qu’elle essaye tant bien que mal de masquer un profond manque d’assurance et de reconnaissance.
L’orgueil n’est jamais si grand que chez celles et ceux qui, dans les tréfonds d’eux-mêmes, doutent de leur valeur et ne se sentent pas dignes de recevoir d’attention ni d’amour… Dans la thérapie des schémas, on appelle ça les « stratégies de compensation » . Il suffit d’un peu de lucidité pour soi-même pour sentir que chacune et chacun d’entre nous s’y réfugie de temps en temps…
« I don’t have to sell my soul
He’s already in me
I don’t need to sell my soul
He’s already in me
I wanna be adored
I wanna be adored »