Née dans le New Jersey au début des années 80, Sharon van Etten a passé pas mal d’années à se balader entre des emplois de journaliste ou de vendeuse chez un disquaire, tout en se produisant ici ou là en tant qu’auteure-compositrice dans des bars plus ou moins miteux et devant des publics maigrelets. Au fil de ce parcours, elle a accumulé de quoi faire une entrée remarquée dans le monde de la musique indé, avec trois très bons albums en seulement trois ans (« Because I was in love » en 2009, « Epic » en 2010 et « Tramp » en 2012).
À propos du dernier, j’ai entendu dire à l’époque que c’était « le meilleur album de Cat Power » de l’année. Ce n’était pas forcément très sympa pour Sharon de la décrire comme une sorte de copie ou d’imitation (forcément un peu pâlotte), mais il y a un peu de vrai quand même… Comme Cat Power, Sharon Van Etten aime les instrumentations intimistes, voire austères, avec des mélodies et des arrangements simples, et une présence quasi permanente de la guitare acoustique. L’inspiration folk et la prédilection pour le format « guitare/voix » sont très nettes, même si sur le troisième album on constate l’apparition de quelques instruments nouveaux (le piano, les cordes, voire les cuivres ou la boîte à rythmes…), qui marquent une plus grande ambition.
Et puis comme ceux de Cat Power, les textes de Sharon Van Etten sont traversés par une mélancolie persistante, par l’exploration des sentiments douloureux et de la part d’ombre qu’elle constate en elle-même et chez les autres (tristesse, abandon, lâcheté, trahison, égoïsme, jalousie…). Elle est une experte dans l’art du dévoilement et de la mise à nu, d’elle-même et des personnes dont elle est proche, comme par exemple dans les vers qui ouvrent la chanson « Afraid of nothing »: « You told me the day / that you showed me your face / we’d be in trouble for a long time » . Ses albums sont traversés par des cris de douleur soudains et saisissants, comme par exemple ce « Never let myself love like that again » , ou le titre tord-boyaux d’une de ses chansons: « Your love is killing me » .
L’un des grands atouts de Sharon Van Etten, c’est sa voix originale, un peu lasse et traînante, pleine de spleen, de langueur et d’élégance, sans effets, mais cependant puissante (peut-être parce qu’elle a une tessiture qui tire nettement dans les graves), et au final très intense et prenante.
« Ask » , qui figure sur le troisième album (« Tramp » ) , concentre un peu tout ce qui caractérise Sharon Van Etten. Elle y constate que c’est peine perdue de chercher quelque chose qui dure dans ce monde (« The world is collapsing around me » ) , et que l’amertume et la peine qui en résultent n’ont pas vraiment de remède.
Tout cela est chanté avec une montée en puissance progressive, une voix qui prend de l’ampleur, une batterie de plus en plus tonique et des accords de piano de plus en plus scandés au fur et à mesure que la chanson progresse, jusqu’à une fin assez brusque, qui ouvre sur quelques secondes de lourd silence.
On parle parfois de la politesse du désespoir, ici je dirais que c’est plutôt d’élégance du désespoir qu’il s’agit.
« It’s not that I don’t try
It’s that you won’t again
And it hurts too much to laugh about it
(…)
It’s not that I don’t cry
It’s that I have to hide »