J’aimais beaucoup Daniel Balavoine quand j’étais ado, en particulier son dernier album et surtout son live au Palais des sports, avec notamment le très beau « Pour la femme veuve qui s’éveille » . Je me souviens très exactement de l’endroit où j’étais, de l’heure qu’il était et de avec qui j’étais quand j’ai appris sa mort.
Quelques décennies plus tard, je trouve que la beaucoup de ses chansons n’ont pas très bien vieilli. Je ne suis pas très fan de sa voix, musicalement c’est souvent plan-plan… Je n’ai qu’un seul de ses disques (celui-ci, avec ce regard intense sur la pochette), et je ne l’écoute quasiment jamais.
Mais j’ai une tendresse particulière pour Daniel Balavoine, l’homme, et je suis très ému par cette superbe chanson, pour ce qu’elle exprime de fragilité et de sensibilité aux douleurs du monde, pour sa magnifique mélodie, et aussi parce que 30 ans plus tard, c’est l’une des chansons préférées de mon garçon.
Le champ lexical est presque entièrement composé de mots qui évoquent la défaite, la perte, l’échec ou la douleur: « seul » , « vide » , « désert » , « détresse » , « difficile » , « au secours » , « drames » , « oppressent » , « larmes » , « stress » , « disparaissent » , « cris » , « faiblesse » , « SOS » … N’en jetez plus.
Mais dans cet océan de souffrance, une petite flamme résiste: « beauté » , « étoiles » , « le plus beau reste à faire » , « j’ai recollé tous les morceaux » …
Avec le recul, je crois que ce qui m’a tant marqué dans cette chanson, et ce pourquoi je l’aime encore tant, c’est cette obstination farouche. On peut ressentir très fort la difficulté de vivre, avoir la tentation de l’abandon, se sentir écrasé par le tragique de nos existences et de la marche forcée du monde vers l’abîme, mais avoir quand même assez d’énergie et de désir pour « se raccrocher à la vie » malgré tout, tant qu’on peut. Et si on y arrive, c’est avant tout parce qu’on a envie de se laisser enivrer par « le bruit des corps » qui nous entourent, par leurs gestes, leurs voix, leurs regards, leurs chagrins, leurs pleurs, leurs sourires, leurs rires…
« Qu’est-ce qui pourra sauver l’amour ? » Je crois plutôt que c’est l’amour qui nous sauve.
Une de mes amies m’a écrit récemment, à propos de nos engagements militants, de nos jardins ou de nos projets d’écolieux: « Si on fait tout ça, c’est uniquement par amour » . Comme elle a raison!
Il y a une autre chose qui me touche beaucoup dans ce texte, c’est le passage « Comme un fou va jeter à la mer / des bouteilles vides et puis espère / qu’on pourra lire à travers / SOS écrit avec de l’air » .
Ces quatre vers décrivent très bien la difficulté, dans laquelle je suis resté très longtemps empêtré, à exprimer clairement et sereinement mes difficultés, mon mal-être, mes demandes d’affection, et du coup ma tendance à le faire de façon codée, en me dévoilant un tout petit peu mais pas trop, et en espérant que l’autre allait percevoir le message, allait le comprendre, et allait réagir pile poil comme j’espérais qu’il réagisse…
Bien entendu, cette façon de fonctionner est presque toujours vouée à l’échec et nous enferme alors dans un grand sentiment de solitude et d’incompréhension, voire dans de la rancoeur à l’égard de cet autre qui, décidément, de nous comprend pas, n’est pas aussi attentif et dévoué que nous le voudrions.
Il m’a fallu très longtemps pour oser dire à celles et ceux que j’aime et qui comptent pour moi que je les aime et qu’ils comptent pour moi, que j’ai besoin de leur soutien et de leur affection – et peut-être aussi, enfin j’espère, pour être mieux capable d’être attentif à leurs propres difficultés, et pour savoir y répondre de façon un peu moins maladroite…
Au fond, ce que qui me touche dans cette chanson, c’est qu’elle est un S.O.S qui se transforme en demande de lien, puis finalement en célébration de la vie, et en cela elle décrit un peu de mon parcours récent. Alors quand je l’écoute au hasard, j’en reste toujours la gorge serrée.
« Pris dans leur vaisseau de verre,
les messages luttent,
mais les vagues les ramènent
en pierres d’étoile sur les rochers »
Quel plaisir d’avoir découvert, dans le dernier album de Benjamin Biolay, la belle reprise, sobre et fidèle, avec une sorte de petite corne de brume qui revient régulièrement et qui crée une atmosphère mystérieuse.
C’est peu dire que Biolay est un grand admirateur de Balavoine: « Daniel Balavoine était un grand harmoniste et un grand mélodiste. Pour un chanteur français des années 1980, il était à un niveau incroyable. Il allait chercher des accords diminués, il a dû travailler comme un fou. Et le texte de cette chanson est magnifique. Quant à la voix… Il chantait sur deux octaves, ce qui ne le rend pas évident à reprendre. En peu d’années, il a pris le temps de chercher un son à lui. Le plus terrible, c’est qu’il est mort alors qu’il devenait incontournable.«