Bon, les ballades, les chansons d’amour et les airs baroques, c’est bien gentil, mais de temps en temps j’ai envie d’écouter aussi quelque chose qui dépote.
J’ai réécouté l’album « Nevermind » il y a quelques semaines, et je dois dire que ça m’a fait un bien fou de me reconnecter à l’énergie débordante de Nirvana, notamment sur ce titre, et plus largement sur tout l’album, qui est parmi les plus marquants de l’histoire du rock.
Un moment, j’ai envisagé de partager « Come as you are » , l’un des morceaux apaisés de la discographie de Nirvana (avec néanmoins de puissants contrastes entre les arpèges de l’intro et le refrain teigneux).
Et puis à la réflexion, comment passer à côté de ce morceau grandiose et époustouflant qu’est « Smells like teen spirit » ?
Quand l’album est sorti, en 1991, j’avais 21 ans. Je n’étais plus adolescent, et j’ai donc sans doute été moins saisi que celles et ceux qui avaient alors autour de la quinzaine, et que « Smells like teen spirit » percutait en plein plexus. Ce morceau est un étendard de l’adolescence désoeuvrée, complexée, désabusée, nihiliste et/ou révoltée, comme on en a rarement écrit, joué et chanté – et en tous cas c’est l’un de ceux qui ont eu le plus de retentissement et d’impact.
Le clip a joué un rôle immense dans le succès du groupe (multi-diffusé sur MTV, il a généré tout de suite un buzz énorme). Il flatte le désir d’identification des ados (gros plans sur les Converse ou sur les jeans déchirés), et le désir d’insurrection des plus rebelles d’entre eux (symboles Anarchy bien visible sur l’uniforme des pom-pom girls). Par ces quelques signes de reconnaissance, le groupe leur adresse un message de soutien et se positionne en porte-parole « stupide » et « contagieux » : rejoignez-nous, rebellez-vous, déchaînez-vous, faites comme ce public de jeunes qui pogote et secoue frénétiquement la tête dans tous les sens, comme s’ils avaient tous les doigts branchés dans une prise électrique. C’est une chanson qui ressemble à un cri de ralliement hurlé en pleine face d’une société abhorrée.
Musicalement, « Smell like teen spirit » marquait par ailleurs le grand retour des guitares électriques saturées, comme dans le solo qui démarre à 2’46. Il est aussi soutenu, dès l’intro, par la rythmique reconnaissable entre mille du batteur Dave Grohl, lui aussi totalement survolté tout au long du morceau, tandis que Kurt Cobain se déchire la voix. On sent clairement l’influence des Pixies, que Kurt Cobain a ouvertement admis avoir voulu « copier » , notamment « leur sens de la dynamique » et leur habileté à être « doux et calme, puis fort et dur. »
Pour la petite histoire, il paraît que le titre de cette chanson vient d’un graffiti qu’une jeune chanteuse, Kathleen Hanna, a écrit sur le mur d’une chambre d’hôtel occupée par Kurt Cobain (« You smells like Teen Spirit »). Ce graffiti fait allusion à la marque de déodorant que portait sa petite amie de l’époque… sauf que Cobain, qui ne connaissait pas cette marque, a imaginé que c’était une sorte de slogan révolutionnaire, et a choisi de l’utiliser comme le titre d’une chanson.
Concernant les paroles, Dave Grohl lui-même a affirmé qu’il n’y a pas grand-chose à en dire, puisque selon lui elles ont été écrites « en 5 minutes » . Je ne suis pas sûr que l’interprétation serait si inutile que ça. Mais en tous cas il est clair que cette chanson tient avant tout sur l’énergie rageuse qu’elle dégage – ce pourquoi, peut-être, il est impossible de la reprendre de façon convaincante (Kurt Cobain a d’ailleurs ironisé sur la reprise de Tori Amos en disant qu’elle est « parfaite pour avaler son bol de céréales le matin » ).
Pour toutes ces raisons, « Smells like teen spirit » n’est pas seulement l’hymne du mouvement grunge: c’est un jalon essentiel dans l’histoire du rock. Comme beaucoup des plus grandes chansons de cette histoire, elle a d’ailleurs reçu à la fois un accueil critique enthousiaste, et un succès public fulgurant: classée au neuvième rang des 500 meilleures chansons de tous les temps par le magazine Rolling Stone, elle a passé récemment le cap du milliard de vues sur YouTube et de streams sur Spotify!
Englué dans l’enfer de la drogue, achevé par une célébrité qu’il n’était pas prêt à encaisser, Kurt Cobain n’a pas fait long feu et s’est suicidé seulement trois ans après la sortie de cet album, rejoignant Jimi Hendrix, Janis Joplin et Jim Morrison dans le fameux « club des 27 » . De sa carrière météorique, il reste une chanson immortelle, dans laquelle le « teen spirit » est parfaitement incarné.
« I’m worse at what I do best,
and for this gift I feel blessed
Our little group has always been,
and always will until the end »