Alain Souchon – « Le mystère »

Voilà une chanson qui concentre à peu près tout ce que j’aime tant chez Alain Souchon.

Le côté Pierrot lunaire, comme dans « Il est libre Max » d’Hervé Cristiani (« Je suivais musique et paroles / mon chemin de rossignol« )…

Le désenchantement et la mélancolie persistants, mais qui s’expriment avec tact, sans imposer une atmosphère désespérément sombre (« Chantant mon chant émouvant / On était plus jeunes avant« )…

L’extrême sensibilité et le romantisme enflammé (« La jolie fée qui m’a touché / En l’embrassant, ma bouche a tremblé« )…

La sensualité discrète mais coquine (« Mon amour comme ses yeux brillent / quand elle jette pour moi ses espadrilles« )…

La distance par rapport aux conventions et à ce que nous croyons savoir de source sûre (« Tout se dédit de ce qu’on a dit« ) , par rapport aux normes de la réussite sociale (« Les statues de jocrisse qu’on hisse, / qu’on embrasse et puis qu’on dévisse« )…

Cette façon de reconnaître et de chercher le mystère, de s’incliner devant lui quand on le trouve, sans s’épuiser les neurones à essayer de l’expliquer à tout prix.

Et puis il y a dans la construction de cette chanson un éloge subtil de la maturité, de la façon dont elle nous permet (enfin, elle peut nous permettre…) de grandir et de prendre de plus en plus d’amplitude au fur et à mesure que passent les années: Alain Souchon a commencé par s’intéresser au mystère qui réside dans sa propre existence (« Ce n’est pas tant / ma vie qui me plaît tant, / c’est le mystère qui est dedans« ) , puis à celui qui est caché dans « cette fille qui [lui] plaît tant » , et enfin à celui qui se déploie dans l’immensité et la diversité du monde.

Tout cela est chanté par Alain Souchon avec sa voix si caractéristique, et cette nonchalance qui me touche tant.

Le mot nonchalance est l’un de mes mots préférés, aussi bien pour sa sonorité que pour sa signification. Il vient de l’ancien français « chaloir » , qui signifiait « être important » (comme dans « Peu me chaut ») , ou bien « avoir mal » , « perturber » , « inquiéter » (comme dans « Ne vous chaille »). Et ce vieux verbe français venait lui-même du verbe latin « calere » (désirer ardemment). La nonchalance, c’est donc le fait de prendre avec philosophie les aléas de la vie, de ne pas leur accorder une importance démesurée, de ne pas trop s’y impliquer, de les regarder avec une certaine distance, pour éviter de s’alourdir l’existence avec des tracas ou des douleurs évitables.

C’est exactement ce que je ressens et qui me touche chez Alain Souchon: une certaine forme de langueur, d’indolence, d’insouciance, de bonhomie, et une manière de regarder sans bien les comprendre celles et ceux qui s’agitent frénétiquement en courant après on ne sait pas trop quoi. Il écrit, il compose et il chante comme il s’habille (baskets, jeans, pull col en V) ou comme il se coiffe (ébouriffé), c’est-à-dire simplement, sans esbroufe, négligemment. Il décrit les événements, les gens et les sentiments tel qu’ils lui apparaissent, et c’est pour ça qu’il me parle comme un frère ou comme un double.

Dans une interview publiée à la sortie de l’album « La vie Théodore » , Alain Souchon a donné cette réponse qui lui ressemble tellement: « J‘aime l’idée que les hommes soient ainsi, qu’ils aiment se faire remarquer des femmes » . Nous sommes ce que nous sommes, et nous le resterons, alors à quoi ça sert de se plaindre ou de se bagarrer contre soi-même ? Même s’il y a toujours un brin de déception à l’idée d’être imparfait et insatisfaisant, il est plus sage de s’accepter et d’essayer, c’est déjà pas mal, de devenir petit à petit une meilleure version de soi-même. Et de voir ce que cela donne. C’est peut-être ça aussi, accepter le mystère.

Alain Souchon, j’aime cet homme, ses textes, sa musique, sa personnalité.

Et pour finir, quelle magnifique photo!

« Mais ce n’est pas tant

ce monde qui me plaît tant,

c’est le mystère qui est dedans,

le mystère dedans »

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