Peter Gabriel – « Mercy street »

J’ai découvert Peter Gabriel grâce à mon ami Elric, qui en était un très grand fan quand je l’ai rencontré, notamment pour ses premiers albums et pour la bande originale du film d’Alan Parker « Birdy » . À l’époque j’avais aussi une amie qui ne jurait que par « Pete Gab » . J’étais donc cerné, et je ne pouvais que tomber dans les filets de l’ancien leader de Genesis.

Pour ma part, l’album de Peter Gabriel que je préfère est « So » , sorti en 1986. C’est aussi celui qui lui a valu une consécration méritée: il a atteint la première place des ventes en Grande-Bretagne et la deuxième aux USA, et il contient ses plus grands tubes, comme « Sledgehammer » ou le merveilleux « Don’t give up » .

Aller au-delà du succès d’estime et obtenir aussi la reconnaissance du grand public, tel était sans doute l’une des envies de Peter Gabriel avec cet album. La pochette signale assez de façon éloquente ce désir de plus de visibilité: alors que sur ses trois premiers albums, il apparaissait masqué ou défiguré, cette fois-ci son visage se détache nettement, beau et intense, sur un fond blanc.

Pour obtenir avec « So » un succès commercial, Peter Gabriel s’est adapté à la mode musicale du moment, en délaissant notamment les longs morceaux hypnotiques des trois premiers albums, et en produisant des clips innovants et spectaculaires (notamment celui de « Sledgehammer » , tourné en stop motion avec la collaboration de Nick Park des studios Aardman, qui ont produit l’excellente série de films d’animation « Wallace et Gromit »).

Pour autant, l’écriture de Peter Gabriel reste précise et émouvante, et il a conservé ce qui fait sa patte, notamment le goût pour la création d’ambiances musicales mystérieuses (qu’il approfondira avec la BO de « La dernière tentation du Christ ») , la forte présence des percussions, l’ouverture sur les « musiques du monde » et en particulier pour celles venues d’Afrique (par exemple il invite Youssou N’Dour chanter dans le final de « In your eyes »)…

Musicalement, l’alliage entre les instruments électroniques et les instruments dits « naturels » est parfait à mon goût: le synthé est très présent, notamment pour créer des ambiances lunaires dans les ballades, mais il est secondé ou relayé par des guitares nerveuses et précises, et par une section rythmique aux petits oignons (la basse de Tony Levin, la batterie où se relaient Manu Katché et Stewart Copeland).

Sur le plan vocal, Peter Gabriel semble aussi plus à l’aise. Je trouve souvent sa voix un peu crispée, voire poussée, mais ici elle est plus ouverte, plus décontractée, plus chaude.

Enfin les textes révèlent une grande maturité et une impressionnante profondeur dans la compréhension et l’expression des émotions.

Bref, c’est du travail d’orfèvre. Certains fans de la première heure ont fait la moue, et dans les bacs cet album a fait passer Peter Gabriel au rayon des « variétés internationales » . Je veux bien, mais dans ce cas c’est qu’il y a un segment haut de gamme au sein de cette catégorie.

J’ai déjà partagé dans cette playlist l’un des joyaux de « So » (« Don’t give up ») , et en voilà un deuxième.

« Mercy street » est un hommage inspiré à la poétesse américaine, Anne Sexton, qui avait écrit un poème au titre quasi similaire (« 45 Mercy street »). Le texte, comme celui d’Anne Sexton, pose un regard nostalgique et mélancolique sur une enfance et une jeunesse envolée et pénible. Pour décrire sa difficulté à dépêtrer avec un passé douloureux (Anne Sexton consacra huit ans de sa vie à une psychothérapie qui resta vaine, et elle finit par se suicider au monoxyde de carbone en faisant tourner le moteur de sa voiture dans son garage…), Peter Gabriel dépose quelques allusions à un inconscient un peu trop encombrant (« the sea » , « wait until darkness comes » , « the unseen » ). Et pour lui offrir en chanson la consolation et la tendresse qu’elle n’a jamais reçue (« Dreaming of the tenderness » ) , notamment auprès de père, il invente ce merveilleux « Dreaming of mercy / in your daddy’s arms » .

La musique, envoûtante et subtile, redouble l’impression qu’une noirceur lancinante et poignante se cache sous une surface apparemment calme et lisse. Les claviers fantomatiques, le rythme scandé par la basse puissante et punchy, les percussions exotiques et subtiles… et la voix de Peter Gabriel, infiniment lasse et douce.

Le magazine NME a classé « Mercy street » parmi les « 10 most depressing songs sver » .

Pour ma part je ne dirais pas que cette chanson est déprimante. Dépressive, peut-être, car elle décrit de façon poignante le parcours de la peine d’une jeune femme qui a traversé sa courte vie comme une vallée de larmes. Mais déprimante, non. Tout au contraire, il me semble que le fait d’exprimer des émotions douloureuses est le meilleur, et peut-être même le seul moyen de trouver auprès des siens le réconfort et la chaleur humaine, qui sont le meilleur remède au chagrin.

Et puis on n’est pas condamné à rêver toute sa vie de tendresse: un jour, une fois qu’on a vraiment compris que c’est ça qui manque le plus, on peut décider d’en demander, et d’en offrir (ce qui ne dépend de personne d’autre que soi). Ça change la vie.

« Dreaming of mercy

in your daddy’s arms »

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