Après avoir navigué pendant quelques années avec le mythique Velvet underground, Lou Reed a entamé en 1971 une carrière solo par un album qui lui a valu un flop assez cuisant.
Mais « Transformer » , sorti l’année suivante, est au contraire un énorme succès, à tel point que Lou Reed sera classé fin 1972 par un magazine « artiste rock préféré des adolescents britanniques » , devant Mick Jagger. Au delà de cette reconnaissance du public, « Transformer » est assez unanimement considéré comme l’un de ses deux chefs d’oeuvre, avec « Berlin » .
Cet album a été écrit et composé dans une période extrêmement sombre de la vie du bad boy new-yorkais: au fond du trou, il est alors retourné vivre chez ses parents à Long Island, dans la banlieue new-yorkaise (quand on sait que la dépression plonge toujours ses racines dans l’enfance, ce n’est pas forcément la meilleure idée du monde dans ces cas-là…). Violemment dépendant à l’héroïne, plus ou moins ivre pendant la plupart des sessions d’enregistrement (notamment pendant celle de « Perfect day » ) , Lou Reed se laisse totalement diriger par les deux fortes personnalités qui produisent l’album: David Bowie, qu’il a rencontré un an plus tôt, et le guitariste de celui-ci, Mick Ronson.
De ce contexte pathétique est sorti un album magnifique, fait de rage et de douleur, d’ironie et de désespoir, de larmes amères et de beauté surgissante, comme une fleur resplendissante ayant poussé sur un tas de fumier. Les mystères de la création artistique…
« Transformer » est aussi un album central dans l’histoire du glam rock, ce genre musical qui consiste à aborder des sujets a priori assez glauques mais de façon glamour, avec force maquillage, strass et paillettes (la pochette de l’album est d’ailleurs devenue l’un des principaux symboles du glam). Comme David Bowie, Lou Reed est alors l’un des portes-flambeau de ce courant musical, affichant une personnalité complexe, ambiguë, androgyne, ouvertement homosexuelle voire bisexuelle, aux antipodes de la virilité affichée par la plupart des rockers.
Je dois dire que ce versant là du rock, je le connais très mal, car je ne m’y suis jamais intéressé. L’esthétique kitsch, le maquillage, l’androgynie, ça m’a toujours laissé pour le moins perplexe (c’est pareil pour David Bowie et plus encore pour Queen, dont je n’ai aucun disque). Et si je préfère très largement Lou Reed à David Bowie, c’est parce que pour le peu que je connais de ce dernier, Lou Reed me paraît plus subtil et, au fond, bien plus subversif. Cette subtilité même lui permet de parler de la marginalité en lui offrant une audience, contrairement à Bowie qui, me semble-t-il, la décrit de façon si excentrique qu’elle ne peut que susciter de l’agacement et un mouvement de recul chez beaucoup. Mais bon, ce n’est qu’un avis personnel, qui en réalité en dit autant ou plus sur moi que sur ces artistes et ces personnalités (j’aime bien les gens « normaux » , en tous cas tranquilles, et les gens délurés ou foldingues m’amusent, mais me fatiguent assez vite).
Située en plein coeur d’une face A extraordinaire, « Perfect day » est la deuxième chanson de « Transformer » que je partage dans cette playlist, après « Walk on the wild side » , et elle est non moins merveilleuse.
Musicalement, Lou Reed profite ici du travail d’orchestration de David Bowie et Mick Ronson, et notamment dans ce final majestueux où les cordes arrangées se mêlent à la mélodie au piano. C’est une chanson baroque, si truffée d’arrangements raffinés qu’elle flirte presque avec le maniérisme, voire la grandiloquence. Mais c’est tellement léché, tellement élégant et classieux que ça glisse aussi délicieusement qu’une glace à la mangue un soir d’été (de vrai été).
Quant au thème il est, comme souvent avec Lou Reed, très ambigu.
Si on la prend au pied de la lettre, on peut penser que « Perfect day » parle d’une histoire d’amour romancée, en l’occurrence celle que Lou Reed avait à l’époque avec Bettye Kronstad.
Mais le texte comprend quelques formules qui font penser que « Perfect day » est un remerciement adressé à l’héroïne, pour les instants de répit qu’elle offre aux créatures qu’elle a pris dans sa toile. La drogue permet à Lou Reed, pour un temps très bref (et malheureusement de plus en plus bref), de mettre entre parenthèses ses démons intérieurs, de s’oublier lui-même, de se croire une meilleure personne que celui qu’il est persuadé d’être – de tenir le coup, tout simplement (« You just keep me hanging on » ). Je ne sais pas jusqu’à quel point Lou Reed avait ce thème en tête quand il a écrit ces paroles, de façon consciente ou inconsciente, mais en tous cas c’est une interprétation très répandue. La chanson est d’ailleurs utilisée pour illustrer une scène d’overdose dans le film « Transpotting » de Danny Boyle.
« Perfect day » serait donc un cocktail de sexe et de poudre…
Pour ma part, j’aime mieux faire de « Perfect day » l’interprétation la plus terre à terre. Ce qui me vient en tête quand je l’écoute, grâce notamment à la voix pure et chaleureuse de Lou Reed, c’est qu’elle décrit tout simplement l’amour tel que je l’ai toujours rêvé, tel que je l’ai longtemps vécu, et tel qu’il me manque cruellement ces temps-ci: l’amour heureux parce que paisible, tranquille, serein. Celui grâce auquel les occupations les plus banales, se promener main dans la main, boire un verre dans un parc, aller au cinéma, deviennent des moments de félicité toute simple qui s’ajoutent les uns aux autres et qui tissent, ensemble, la trame du bonheur conjugal.
Ce qui me touche aussi énormément dans cette chanson, ce sont ses derniers mots (« You’re going to reap just what you sow » ).
« On récolte ce que l’on sème » , je dis souvent cela à propos des enfants. Quand on les aime réellement, quand on est réellement attentionné et affectueux à leur égard, quand on les écoute, quand on est présent pour eux lorsqu’il le faut mais sans les empêcher de faire leur vie, quand on les remercie pour le bonheur qu’ils nous donnent, ils nous le rendent au centuple, et c’est tellement bouleversant.
Eh bien ces dernières années, je devine que c’est sans doute pareil avec le couple. Il faut du temps, de l’attention, du partage, de la communication, pour que le simple fait de vivre aux côtés de l’autre, de partager son quotidien, fasse de chaque jour un jour parfait, qu’on est joyeux d’avoir passé avec lui. Et là aussi, on récolte ce que l’on sème (et en tous cas on regrette amèrement de ne pas récolter faute d’avoir semé avec assez de soin).
« Problems all left alone
Weekenders on our own
It’s such fun
Just a perfect day
You made me forget myself
I thought I was someone else,
someone good
Oh, it’s such a perfect day,
I’m glad I spent it with you
Oh, such a perfect day
You just keep me hanging on
You just keep me hanging on
You’re going to reap just what you sow »