Un partage de circonstance alors que doit sortir demain matin le sixième rapport du GIEC, qui devrait dresser un tableau assez apocalyptique du dérèglement climatique et de ses conséquences…
Midnight oil est un groupe australien emmené par Peter Garrett, un militant écologiste et pacifiste surnommé le Géant vert (il mesure 1m 93 comme moi – mais j’ai plus de cheveux 😁), et qui est très engagé socialement et politiquement, au point qu’il a mis sa carrière musicale entre parenthèses pour devenir ministre de l’environnement entre 2007 et 2010.
Sortie en 1987, « Beds are burning » est non seulement le plus grand succès de Midnight oil, mais c’est aussi et surtout l’un des premiers tubes explicitement écologistes (et contrairement à la plupart des chansons engagées, que je trouve en général assez navrantes sur le plan artistique, elle est excellente).
À l’origine, c’est une chanson qui prend fait et cause pour les aborigènes, dont les terres ancestrales ont été spoliées par les colons britanniques à leur arrivée en Australie (le texte évoque notamment la situation de Kintore, une région dont les populations autochtones furent chassées par le gouvernement pour la transformer en une zone militaire). Peter Garrett se révolte et se dresse contre cette injustice (« The time has come / to say fair’s fair« ) , et il réclame réparation au nom des aborigènes (« It belongs to them / Let’s give it back« ).
Midnight Oil est ici précurseur et anticipe sur ce qui est en train de devenir un courant important de l’écologie politique, à savoir l’écologie dite « décoloniale » – un mouvement qui envisage la crise écologique comme étant la résultante, entre autres choses, de l’exploitation des pays du sud par les pays occidentaux, qui ont pillé leurs ressources humaines et naturelles afin de mettre en place un modèle de développement dont on voit aujourd’hui à quel point il est désastreux.
Mais « Beds are burning » est aussi une chanson écologiste au sens plus étroit. La pochette de l’album (« Diesel and dust ») illustre la beauté sauvage du bush et du désert australien, et plusieurs de ses chansons dénoncent la façon dont les humains sont en train de dévaster leur environnement.
Au fil des années, cette lecture purement écologiste de « Beds are burning » est devenue de plus en plus prégnante, d’abord parce que la crise écologique a continué à s’aggraver, et aussi parce que l’Australie est l’un des pays où les conséquences du changement climatique sont les plus spectaculaires et les plus tragiques, notamment sous la forme de méga-feux particulièrement terrifiants. Il y avait dans ce titre, dans ce refrain (« How do we sleep / while our beds are burning ?« ) , quelque chose de tristement prémonitoire…
Cette question, cela fait un paquet d’années qu’elle me hante. Comment est-ce possible de somnoler et de se distraire avec insouciance alors que la planète qui nous accueille et dont nous dépendons à 100% est chaque jour un peu plus dévastée, justement à cause de notre train de vie insoutenable ? Comment est-ce possible de prétendre que « les mentalités évoluent » et que « la prise de conscience se fait » , alors qu’il y a 33 ans déjà, cette chanson disait tout ce que la plupart ont encore aujourd’hui bien du mal à comprendre ? La réalité, c’est que depuis la sortie de cette chanson, la quasi totalité des occidentaux ont continué à se branler méticuleusement de la catastrophe écologique en cours. Il faut appeler un chat un chat.
C’est pourquoi la saine colère de Peter Garrett est toujours d’actualité, et plus que jamais salutaire. L’inconscience coupable qu’il dénonce, elle est toujours majoritaire aujourd’hui. La plupart ne pensent qu’à revenir au « monde d’avant » , à voyager toujours plus vite et toujours plus loin, à rouler dans des chars toujours plus lourds et confortables, à renouveler toujours plus souvent leur garde-robe ou leur smartphone, tandis que les gouvernements font du greenwashing électoral, expulsent les zadistes en les traitant d’Amish, ironisent sur l’écologie punitive (comme si ce n’était pas l’absence d’écologie qui était punitive!), et ne jurent que par la relance de la croissance du PIB, de l’industrie automobile et du secteur aérien…
« Beds are burning » est une chanson sur la #solastalgie, cette tristesse qui nous prend face au constat que le monde vivant, que l’on aime, dont on prend soin et dont on dépend, il s’effondre.
En persan, le mot « persez » signifie à la fois « jardin » et « paradis » . C’est ce qu’est la Terre, et jusqu’à preuve du contraire, il n’y en a pas d’autre, alors il n’y a rien de plus tragique que le voir fracassé sans vergogne. Ce qui brûle ces jours-ci, en Grèce, en Turquie, en Californie et ailleurs, ce sont des maisons, des champs, des jardins, des vergers, des forêts, c’est-à-dire des lieux où nous vivons, des lieux qui nous nourrissent, et aussi des lieux dans lesquels nous nous promenons, où nous passons du temps pour contempler, méditer ou nous recueillir… Y a-t-il quelque chose de plus important et précieux que tout cela ?
Mais « Beds are burning » est aussi une chanson sur la colère, la protestation et l’engagement. Faire en sorte que la terre reste une planète où il soit possible de « mener une vie authentiquement humaine » (selon la superbe formule du philosophe allemand Hans Jonas), c’est pour moi le plus juste et le plus important des combats, celui sans lequel, s’il est perdu, aucun autre combat ne pourra être gagné.
Merci à Peter Garrett d’avoir chanté tout cela.
« How can we dance
when our earth is turning ?
How do we sleep
while our beds are burning ? »