Le double album « Live in Dolores » et « Murat en plein air » est un fantastique album live, si fantastique que c’est de loin mon préféré parmi tous ceux que j’ai eus à écouter, en même temps que mon album préféré du druide auvergnat.
En réalité c’est un « faux live » , plutôt un enregistrement dans les conditions du direct, mais sans public, de sept des titres qu’il a chantés pendant la tournée qui a suivi la sortie de l’album « Dolores » . Plus précisément, le public que s’est choisi ici Jean-Louis Murat, c’est celui avec lequel il se sent le plus à l’aise: les éléments naturels et la faune, notamment les oiseaux dont on entend les piaillements entre les chansons, et parfois même au début ou à la fin de celles-ci, voire au beau milieu.
Pendant des années, Murat des villes a sorti des albums, joué le jeu de la promo, répondu à des interviews, sillonné les routes de France pour aller jouer en concert. Mais dans ce tourbillon, Murat des champs a tant traîné sa peine et a rencontré tant d’occasions de rouspéter qu’il devait recouvrer de l’espace, de l’air, du temps et du calme. Ce merveilleux double album, qui sent la terre, le vent et la pluie des contreforts du Sancy, sonne pour lui comme un refuge, un havre de paix, un ressourcement.
Tout au long de « Live in Dolores » , les titres de l’album « Dolores » (« Perce-neige » , « Fort Alamo » , « Aimer » , « Margot » ) , les inédits et les reprises (« Au fin fond d’une contrée » d’Akhenaton) sont joués avec une instrumentation similaire: une guitare acoustique, des volutes de synthés aussi brumeux que les brouillards du col de la Croix-Morand, et ici ou là une guitare électrique ou un harmonica qui donnent l’impression de vouloir déchirer les nuages, comme si Murat avait soudain une saute d’humeur, un mouvement de colère, une volée de bois vert ou une plainte à lâcher.
Sur tout l’album, le chant de Murat est celui de l’homme hypersensible et ombrageux qu’il est: sa voix est grave et chaude, parfois rêche quand il évoque la douleur du désamour, mais le plus souvent d’une sensualité sidérante (notamment sur la majestueuse « chanson de Dolores »).
Tout cela, musique et paroles, glisse sur des rythmes lents et langoureux: Murat est à la maison, dans son élément, à l’aise, et il prend son temps pour poser chaque mot, pour mettre au mieux en valeur chaque arrangement trip-hop, chaque accord de piano, chaque gémissement de l’harmonica.
Les textes des chansons issus de l’album « Dolores » ont été écrits suite à une rupture amoureuse traumatisante (comme son nom l’indique), et dont les premiers mots de l’album donnaient le ton: « Qu’il est dur de défaire / J’en reste KO » . Ils suintent une détresse si vive et si abyssale (« J’ai un chagrin plus fort qu’une armée » ) que Murat a eu besoin, pour la supporter, de feindre quelque peu la distance (« Malgré les menaces, / comme tout me lasse, / je m’en fous » ). Bien sûr on n’en croit rien: à l’écoute de ces chansons, dont plusieurs sont d’une tristesse vraiment insondable, j’ai l’impression de parcourir les rues d’un village en ruines, de visiter un paysage intérieur qui n’est que regret, amertume et désolation. Et quand ces textes sont soutenus par ces choix musicaux, chantés par cette voix, ils prennent une profondeur encore plus émouvante et impressionnante.
Au final on se retrouve avec un chef d’oeuvre. J’ai lu quelque part que « Live in Dolores » est « d’une austérité pastorale » : je trouve que cette formule résume parfaitement cet album d’une splendide beauté.
Dans « Perce-Neige » , ce dépouillement fait merveille, il rend la chanson encore plus désolée, dramatique et même pathétique.
« Perce-neige » raconte les jours, les semaines ou les mois qui suivent le départ d’un personne passionnément aimée: « Ce jour, mon cœur se mit à saigner / comme le lapin de garenne, / qu’il vous fallut un jour égorger / pour sacrifier à la haine. » Cet envol laisse derrière lui un chagrin insupportable (« Votre assomption mon adorée / nous aura plongés en enfer » ) , qui rend toute activité vaine et vide de sens (« Rien n’est important, j’écris des chansons / comme on purgerait des vipères » ) , et qui semble ne jamais devoir finir (« Même si les frimas épargnent les blés, / jamais ne cessera ma peine » ). La tristesse est d’autant plus vive que des projets d’avenir commun avaient germé – et Murat les évoque avec une poésie et une pudeur magnifiques (« Notre troupeau devait donner du lait au goût / de réglisse et d’airelles / Quand ce souvenir vient m’attrister, je pense à vous perce-neige » )…
Avec cet album, qui est pour moi le sommet de sa carrière musicale, et avec cette chanson, Jean-Louis Murat exprime mieux que jamais sa sensibilité à fleur de peau, profondément enracinée dans la nature, et il l’utilise pour exprimer, avec une puissance rare, les émotions les plus intimes et les plus poignantes.
Et à la fin de l’envoi, il touche. En plein coeur.
« Peine perdue pour aimer mon prochain,
je ne suis plus que congère.
Mon âme triste s’étire au loin,
comme s’étire au loin la jachère. »