Daniel Darc – « J’irai au paradis »

En 2004, le splendide album « Crève-coeur » avait marqué le retour de Daniel Darc, et un retour fracassant (bien que les chansons y soient d’une délicatesse infinie). Ce disque avait donné l’impression que Darc avait peut-être cessé de s’enfoncer dans la souffrance, la dépression, l’auto-destruction, les drogues et les excès en tous genre, et qu’il était désormais rescapé, voire miraculé.

Poignant, mais lumineux: l’album de la rédemption ?

Mais l’album « Amours suprêmes » , sorti en 2008, est à nouveau bien plus sombre. Cinq ans avant sa mort à seulement 53 ans, Daniel Darc y dresse le bilan accablant d’une vie passée dans les tréfonds de la détresse, et il offre une forme de testament qui se veut apaisé, mais qui pour ma part me semble encore bien torturé.

La pochette donne le ton: photographié en gros plan, cerné de noir, avec son nom écrit en grandes lettres gothiques, Daniel Darc regarde droit l’objectif avec un visage et un regard qui essayent de paraître fiers, mais que je trouve bien éteints, presque inexpressifs, comme s’il était vraiment au bout du rouleau. Il voudrait avoir encore la force d’être incandescent, de correspondre au cliché du loser magnifique, mais il est si cabossé, si fracassé, si cramé, que c’est plus un loser pathétique que je vois. L’impressionnant tatouage en forme de croix qui lui barre la poitrine donne l’impression qu’il est déjà à lui-même son propre linceul et son propre cercueil.

Plusieurs chansons montrent bien que la mort rôde, tentatrice et vénéneuse (« La vie est mortelle » ) , que Daniel Darc s’y prépare (« Serais-je perdu ») , et même qu’il la souhaite (« N’espérant plus que la fin, / serai-je encore là demain ? » ) , en méditant sur ce qu’il a raté ou gâché (« Les remords ») , et en essayant de se rassurer sur le sort qui lui est promis dans l’au-delà (« J’irai au paradis » ). Éléonore Colin a écrit dans Les Inrocks que si « les obsessions existentielles de Darc font vaciller le disque en bordure du crépuscule, les ritournelles de Lo lui confèrent une mélancolie étrange, quasi heureuse. » Pour ma part, j’ai beau réécouter et chercher à nouveau, même si les mélodies et les arrangements sont en effet magnifiques (un poil moins cependant que sur « Crève-coeur » ) , je sens davantage d’obsessions et de douleur que de mélancolie, et je vois mal en quoi celle-ci est ici heureuse…

Par exemple, il faut à mon avis être bien insensible pour voir du bonheur dans les vers glaçants et poignants qui composent le refrain de la chanson que je partage ce soir: « Quand je mourrai, j’irai au paradis / C’est en enfer que j’ai passé ma vie / Quand je mourrai, j’irai au paradis / J’ai gâché ma vie. »

Si cette chanson me remue particulièrement, c’est parce qu’elle illustre l’impasse tragique dans laquelle entraîne la fascination pour le côté obscur, la souffrance ou l’incandescence douloureuse.

Pour produire des disques qui marquent et qui frappent au coeur, être un grand brûlé émotionnel est un carburant peut-être incomparable: à l’écoute de cet écorché vif en sursis, de ces textes, ces mélodies et ces orchestrations d’une telle beauté, comment ne pas être foudroyé, comment ne pas avoir le coeur serré et la gorge nouée ?

Mais pour ce qui est de vivre…

Daniel Darc croyait en Dieu et au paradis, et dans ses dernières années, il voulait se persuader que quelqu’un veillait sur lui et le consolerait, dans un autre monde, de la souffrance qu’il a connue dans celui-ci.

Pour moi qui ne suis pas croyant, cet espoir me semble tellement vain et absurde… Nous n’avons qu’une vie, et personne ne devrait, au soir de celle-ci, se dire qu’il l’a gâchée parce qu’au lieu d’ouvrir et de libérer son coeur, il l’a « enfoui » dans un trou qu’il a soi-même creusé, couvert « de sang, de boue et de sueur » . Quand bien même ce serait le prix à payer pour écrire des chansons magnifiques, il serait infiniment trop coûteux.

Au final, j’aime cette chanson, et je la trouve précieuse, parce qu’elle me montre le chemin sur lequel il ne faut pas (ou plus) que je m’engage, même lorsque le désespoir et la tristesse me gagnent. Daniel Darc est le double que j’aurais pu devenir, et que je ne suis pas devenu, heureusement pour moi et pour mes proches.

« J’ai creusé un trou,

j’y ai enfoui mon coeur

Je le couvre de sang

De boue et de sueur

Et quand je mourrai,

j’irai au paradis,

parce que c’est en enfer

que j’ai passé ma vie

(…)

J’ai gâché ma vie »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *