Quand je me suis lancé dans cette playlist annuelle, le principe était de partager non pas mes 365 morceaux préférés, mais 365 morceaux qui comptent pour moi, qui m’évoquent des souvenirs émus, qui me relient à des personnes, à des périodes de ma vie ou à des lieux qui me sont précieux.
Alors il était impossible de ne pas partager une chanson du premier disque de la série qu’Anne Sylvestre a appelé les « Fabulettes » . Quand j’étais petit, mes parents nous le faisaient écouter souvent et je connaissais par coeur toutes les chansons (« Dans ma fusée » , « Chat c’est toi le chat » , « Sureau sureau » , « Flocon papillon » …) Il y a sans doute encore chez mes parents une bande magnétique sur laquelle ils m’avaient enregistré en train de chanter « Je pense à Noël » …
Si ce disque et cette chanson génèrent beaucoup d’émotion chez moi, c’est aussi pour une autre raison.
J’ai toujours aimé les enfants pour leur enthousiasme et pour leur capacité étonnante à se connecter instantanément à ce qu’il y a en eux de joie, et à l’exprimer sans inhibition. Je suppose que je devais les envier, car moi-même j’ai progressivement désappris, comme à peu près tout le monde, à lâcher les freins et à me donner le droit de m’amuser, et je suis devenu bien trop sérieux, bien trop adulte (c’est important d’être adulte, mais pas tout le temps…), ou pire encore, bien trop et bien trop souvent parent, avec tout ce que ça comporte de normativité, de consignes, de conseils, d’inhibitions, de sanctions…
Mais la compagnie des enfants, les miens bien sûr, mais aussi leurs copains et copines d’école, ou mes neveux et nièces, m’a toujours aidé à m’extraire de cette pesanteur. Depuis toujours, à chaque fois que je passe un moment avec des enfants (ou à tout le moins des grands enfants comme moi!), j’en redeviens un moi-même, et ce sont les moments que je préfère, les moments où je ris le plus et où le temps passe le plus vite, les moments où à la fois je me sens le plus vivant et où j’oublie que je suis en train de vivre, car je suis happé par le flot de la vie (le fameux « flow » dont parle Mikhail Csikszentmihalyi).
La définition la plus parfaite du bonheur pour moi, c’est d’être avec mes enfants et leurs cousins ou leurs amis, dans une ambiance de colonie de vacances, et de les voir jouer et rire (si en plus c’est en compagnie de la femme que j’aime, alors c’est la totale).
Il y a au fond de nous-même, jusqu’à notre dernier souffle, une partie de nous que les thérapeutes en analyse transactionnelle appellent l’enfant libre. C’est la partie de nous qui est le siège des désirs, des envies, de la joie, du plaisir… La partie de nous qui nous donne de l’impulsion.
Depuis quelques années, je réussis de mieux en mieux à me connecter à cette partie-là de moi-même, et à chaque fois que je progresse en ce sens, je ressens cette avancée comme une grande libération. C’est un peu comme si j’étais une maison qui, au fil des années, ressemble de moins en moins à une place fortifiée avec des pont-levis, des mâchicoulis et des meurtrières, et compte de plus en plus de portes et de fenêtres, « en large et en long » , pour s’imprégner du monde autour et pour laisser sortir une partie de ce qu’il y a à l’intérieur.
« Et puis moi » dans tout ça, je ne dirais pas que « ça va » , en tous cas pas tout le temps, ni que « je saute, je saute » en permanence, ni que « je ne m’en fais pas » . Mais au moins je me sens plus léger, et je laisse un peu plus de place à celui qui, en moi, a encore sept ou huit ans, et chante encore les fabulettes d’Anne Sylvestre avec une voix haut perchée et l’innocence de l’enfance.
« J’ai une maison
pleine de fenêtres,
pleine de fenêtres
en large et en long
Et puis moi ça va,
je saute, je saute
Et puis moi ça va,
je ne m’en fais pas »