Comme souvent avec Barbara, je préfère la reprise à l’original.
J’admire la musicalité de Barbara, je trouve ses textes très émouvants et superbement écrits, mais sa voix, décidément, m’agace très vite – trop d’effets, trop de maniérisme.
En revanche, pour peu qu’une de ses chansons soit chantée comme j’aime, de façon simple, délicate et sans apprêt, et c’est l’éblouissement, comme ici. La voix de Camélia Jordana a un grain particulier, un peu voilé et éraillé, qui donne l’impression qu’elle est au bord de se briser.
Cette fragilité et cette fêlure cadrent parfaitement avec le thème de « Septembre » . C’est une chanson de rupture (des amants se séparent à la fin de l’été – « Mais il faut se quitter, pourtant, l’on s’aimait bien » ) , et la narratrice est saisie par une émotion douloureuse (« L’amour s’en va, mon cœur s’arrête » ) , prise par un chagrin « couleur d’ambre« … Ce sentiment poignant semble avivé par le fait que le temps est doux et délicieux (« Jamais la fin d’été n’avait parue si belle » , « Quel joli temps pour se dire au revoir » ): qu’il est dur de dénouer un lien et de renoncer à un avenir que l’on espérait radieux (« Je reste sur le quai » ) , alors même que l’heure est à la récolte (« Les vignes de l’année auront de beaux raisins » )…
Et pourtant ce n’est pas un « adieu » que cette narratrice adresse à son amoureux, mais un « au revoir » , à plusieurs reprises. C’est bien le signe qu’elle n’a pas renoncé à l’idée que cet amour renaisse de ses cendres (« L’amour nous reviendra peut-être / Peut-être un soir, au détour d’un printemps / Ah quel joli temps, le temps de se revoir » ).
Le texte se conclut sur un acte de foi dont rien ne nous permet de penser qu’il est crédible, mais qui témoigne de l’ardeur intacte des sentiments: « Quand tu me reviendras, avec les hirondelles / Car tu me reviendras, mon amour, à demain » . Cette femme croit dur comme fer à son destin. Peut-être que c’est ce qui la perdra, si ça la fait négliger d’autres occasions de trouver l’amour ? Ou bien au contraire ça la sauvera, car c’est cette foi farouche qui lui permettra de conserver vivante la petite flamme qu’elle est désormais la seule à entretenir, et qui a encore une chance de renaître.
Cette valse-hésitation du texte, servie superbement par la voix gracile de Camélia Jordana, est soutenue avec une attention délicate et précise par le pianiste Alexandre Tharaud, que l’on connaît habituellement dans un tout autre registre (je possède notamment de lui une belle intégrale des œuvres pour piano de Maurice Ravel).
Alexandre Tharaud est un inconditionnel de Barbara depuis l’adolescence, alors qu’il était englué dans un mal de vivre si vif qu’il se réfugiait dans l’écoute des chansons de la dame en noir. Un soir de 1987, il a assisté à l’un de ses concerts au Châtelet, et cette expérience l’a totalement bouleversé: « Je n’ai plus joué de la même manière après ce tour de chant. Elle avait une présence inouïe, de l’ordre du sacrifice. Barbara sur scène s’offrait à nous, entièrement, pleinement. C’était un échange explosif, et on en sortait épuisé de bonheur et de gravité » .
C’est un peu cette impression de sacrifice que je ressens dans l’interprétation de Camélia Jordana: elle aussi est offerte, abandonnée à des émotions qu’elle nous livre sans fard ni artifice, sans jamais s’écouter chanter.
Des mots bruts et expressifs, chantés par une voix brute et expressive, accompagnés par un piano brut est expressif: cela donne un morceau splendide.
« Jamais les fleurs de mai n’auront paru si belles
Les vignes de l’année auront de beaux raisins
Quand tu me reviendras, avec les hirondelles
Car tu me reviendras, mon amour, à demain »