The Cure a été un groupe très important pour moi à l’adolescence. C’est le premier groupe dont j’ai acheté un vinyle, en l’occurrence l’album « The head on the door » . Je suis à peu près sûr de ne jamais en avoir acheté un deuxième – en revanche j’ai enregistré des masses de disques sur des cassettes audio, et aujourd’hui me voilà tellement pourvu de CD que ça pourrait alimenter la médiathèque d’un écolieu 😉
Sur « The head on the door » , ma chanson préférée était « A night like this » , et quand je relis les paroles qui m’ont marqué à l’époque, elles sont particulièrement sombres: « It goes dark / It goes darker still / Please stay / But I watch you like I’m made of stone (…) Can’t stand here like this anymore (…) I want to change it all » . Oui, j’aurais voulu tout changer, car j’avais l’impression que rien n’allait dans ma vie, et pire encore, que rien ne pourrait jamais aller. À l’époque, je ne brillais ni par ma confiance en moi, ni par mon « quotient émotionnel », ni par une joie de vivre démesurée…
Après « The head on the door », je suis remonté aux albums précédents (« Faith » et « Pornography » ) , et j’ai alors descendu encore quelques marches sur l’escalier de la désespérance et du mal-être.
Sur l’album « Pornography », qui est encore aujourd’hui mon favori de Cure, j’ai été profondément marqué par cette chanson, d’une noirceur terrible, pas loin d’être insoutenable quand on la découvre à quatorze ou quinze ans.
Tout au long de ces presque sept minutes, l’ambiance musicale est oppressante, suffocante, avec une batterie furieuse, une boîte à rythme frénétique, une guitare électrique lancinante et stridente, un Robert Smith qui chante comme s’il voulait se dégager d’une camisole de force…
Et alors le texte… Les premiers mots, qui ouvrent l’album, claquent comme un clap de fin: « It doesn’t matter if we all die » . Plus loin le texte évoque « A prayer for something better« , en constatant tout de suite que ça n’est qu’un rêve illusoire car c’est la peur qui prend racine (« But the fear takes hold » ). Alors il n’y a plus qu’à attendre le coup de grâce (« Waiting for the death blow« ) , dans un ennui et une souffrance interminables (« It feels like a hundred years » ). Et on sait où nous mène ce chemin de croix (« Over and over / We die one after the other » ).
Gasp.
Une autre chanson de cet album, « Siamese twins », se finit par ces mots: « Is it always like this ?«
Est-ce que c’est toujours comme ça ? Heureusement, non.
Je suis soulagé d’être à peu près sorti, bien longtemps après, de cette attirance complaisante pour le sombre, l’échec, la souffrance. Il faut que je fasse gaffe pour ne pas y replonger, et réécouter un morceau qui la symbolise de façon si chimiquement parfaite, ça m’aide. Encore aujourd’hui, j’adore cette chanson (c’est peut-être bien ma préférée de Cure), entre autres choses parce qu’elle me rappelle que la vie est souvent difficile et tragique, que bien souvent elle peut exiger de nous des efforts qui semblent au-dessus de nos forces, que dans ces moments-là on peut avoir très fort la tentation de céder à la résignation ou au nihilisme (« Vie de merde » , « C’est foutu de toutes façons » , « Personne ne pourra jamais comprendre personne » …), et qu’on a alors besoin d’écoute et de bienveillance pour soi-même.
« A prayer for something better
A prayer
for something better »