Je l’ai déjà écrit, mais je le répète: dans la galaxie « Chanson française » , Alain Souchon est pour moi un OVNI, capable de produire des chansons qui sont d’une grande qualité poétique et mélodique, et qui dans le même temps sont d’immenses succès populaires, que tout le monde connaît et serait capable de fredonner. Il y en a pas mal qui ont réussi la même chose, certes. Mais sur autant de titres que lui, je ne crois pas.
« La vie Théodore » ne figure pas parmi ses chansons plus connues, mais c’est l’une de celles qui me touchent le plus, pour les mêmes raisons que d’habitude (la simplicité et la beauté de son texte et de sa musique), et en supplément parce que ma fille Aurore l’aime beaucoup et qu’on adore la chanter ensemble.
C’est une chanson qui, d’une certaine façon, reprend le fil là où Alain Souchon l’avait laissé avec « Foule sentimentale » , et dont il se saisit à nouveau pour ouvrir cet album avec « Putain ça penche » , une chanson (pas terrible à mon avis) sur la dictature des marques.
« Foule sentimentale » dénonçait la société de consommation qui nous enchaîne et nous alourdit de tout le poids de sa futilité et de sa frénésie, en exprimant de la compassion pour les humains qui se laissent gouverner par elle.
« La vie Théodore » s’ouvre à nouveau sur un constat las et désabusé: le décor urbain est un endroit bien peu propice pour mener une vie heureuse, parce que « Si loin de la nature, ici, le coeur durcit » .
Mais ici, Alain Souchon ne s’en tient pas à cette critique de la société de consommation. Le futur désirable que « Foule sentimentale » esquissait pour finir (« Du ciel dévale / un désir qui nous emballe / Pour demain nos enfants pâles / un mieux, un rêve, un cheval » ) , il le décrit sous une forme plus précise, qui n’est sans doute pas celle que tout un chacun aurait envie de suivre, mais qui est celle que s’est choisie le géologue et militant écologiste Théodore Monod, et qui le séduit, lui.
Voici donc l’une des multiples formes que peuvent prendre la simplicité volontaire ou la sobriété heureuse: « marcher dans le désert » avec de gros godillots, « dormir dehors » , « coucher sur le sable d’or » , profiter des nuits étoilées, se contenter d’un livre sacré et d’un petit gobelet d’aluminium, se recueillir, ouvrir grand les yeux et les poumons. Comme tout le monde ou presque, je trouve ce chemin exigeant, et je ne suis pas du tout certain qu’il me plairait et que j’y trouverais une forme de sérénité. Mais cela ne m’empêche pas de trouver cela fascinant et beau…
« Chercheur de trésor,
de brindilles et de phosphore,
d’amours humaines et d’effort
chercheur de trésor
Il faut un minimum
Une bible, un cœur d’homme
Un petit gobelet d’aluminium »