Richard Hawley – « Coles corner »

Richard Hawley est un guitariste, auteur, compositeur et chanteur anglais né en 1967, qui a d’abord officié au sein de l’excellent groupe The Pulp avant de démarrer une carrière solo de plus en plus convaincante.

J’ai déjà partagé deux morceaux d’un autre de ses albums, le formidable « Truelove’s gutter » . Ce disque là est un véritable chef d’oeuvre, et si vous ne connaissez pas Richard Hawley, je vous conseille plus que vivement de le découvrir par là.

L’album « Coles corner » est un peu plus ancien (2005). Après trois albums solo un peu tâtonnants, Richard Hawley atteint ici une maturité épatante, qui lui permet de se présenter tranquillement tel qu’il est, sans se fatiguer à suivre la mode du moment, sans chercher à s’adapter pour plaire à la critique ou au grand public. L’esbroufe, il laisse ça aux gamins impatients, provocants et arrogants. Pas besoin non plus de se forcer à se réinventer à chaque album: on peut très bien avancer sur son chemin en restant peu ou prou le même. Le rock de Richard Hayley est impossible à dater, et grâce à cela il passe les années en se patinant et en prenant de plus en plus de rondeur. C’est du rock adulte, et de temps en temps, qu’est-ce que c’est agréable à entendre!

La musique que Richard Hayley aime, compose, joue et chante, c’est le rock des origines, qui fait la part belle à la guitare, qui est parfaitement adapté à sa voix de crooner, et auquel il ajoute une dose variable de psychédélisme et de sonorités saturées, selon les albums et au gré des des morceaux. Sur l’album « Coles corner », il se permet une chanson qui semble tout droit sortie de Memphis, et sur laquelle sa voix et la musique ressemblent à s’y méprendre à un 45 tours d’Elvis Presley (« Wading through the waters of my time »). Chez d’autres ce serait une singerie un peu ridicule, mais il a une assurance qui fait que ça passe comme un sorbet léger à la fin d’un repas. Cette chanson sonne années 50, elle paraît à certains désuète ? Et alors ?

Le fait de tracer son sillon sans se tracasser de ce qu’on en pensera n’a pas empêché Richard Hawley de recevoir un succès public assez important, et d’être également reconnu par des groupes très en vue. À la sortie de l’album « Coles Corner », il a été nominé aux Mercury Prize (un genre de NRJ music Awards organisé par Virgin), et dans leur discours de remerciements, le groupe vainqueur, Arctic Monkeys, lui a rendu hommage avec des mots amusants mais néanmoins très forts: « Que quelqu’un appelle la police, on a volé Richard Hawley » .

Parmi les atouts de Richard Hawley, il y a les arrangements élégants, très orchestrés, qui composent pour sa guitare un parfait écrin. Musicalement c’est vraiment très, très classieux, avec des mélodies qui s’installent aisément dans la mémoire et qui donnent envie de chantonner les yeux fermés, surtout quand on se sent en phase avec la mélancolie subtile qui parcourt la plupart de ses compositions (sur « Truelove’s gutter », c’est même plutôt d’une ambiance crépusculaire qu’il faut parler).

Mais surtout, quelle voix! Richard Hawley a un timbre de baryton et une chaleur dans la gorge qui en font un instrument parfait pour les balades romantiques. Même lorsque la guitare se fait plus hargneuse (comme sur la moitié de l’album « Standing at the sky’s edge ») , jamais le crooner ne brutalise nos oreilles, jamais sa voix n’est forcée, jamais elle ne se lance dans des vocalises inutiles pour épater la galerie: elle reste toujours la même, caressante, enveloppante, rassurante et familière.

Quant aux textes, eux aussi sont frappés au coin du bon sens et de la simplicité tranquille. En bon songwriter, Richard Hawley observe avec attention et avec détachement (les deux ne sont pas incompatibles) sa vie quotidienne et celle de ses proches et de ses contemporains, et il en tire la matière de chansons qui ne sont jamais prétentieuses, qui s’adressent à tout le monde, dans lesquelles tout le monde peut se reconnaître, ou reconnaître au moins une émotion vécue à un moment de sa vie.

Souvent l’inspiration lui vient de souvenirs émus. Ou bien de petits moments quotidiens auxquels pas grand monde ne fait attention… mais lui, si. Par exemple sur cette chanson: Richard Hawley a raconté que la magnifique mélodie, planante et délicate, lui est venue « au coin de la rue« , pendant qu’il jouait avec ses enfants en poussant leur balançoire. L’anecdote me plaît. Il n’y a pas besoin d’être englué dans l’imaginaire du « sex, drugs & rock’n roll » pour trouver l’inspiration dans le registre rock. Ça ne viendrait sûrement jamais à l’idée de Richard Hawley de se maquiller outrageusement, de porter des vêtements improbables, de mettre des doigts à tout le monde, de répondre aux interviews sans regarder les journalistes ou de fracasser des chambres d’hôtel. Il est à un âge où ces simagrées font plutôt de la peine qu’autre chose, et où il se contente d’être ce qu’il est, sans pour autant le revendiquer et réclamer la reconnaissance.

Encore une fois, le rock de Richard Hawley est empreint de profondeur, de bonhomie, d’humilité, de sagesse. Il est autant un artiste qu’un artisan. Ça en fait un homme que j’aimerais connaître, non pas parce que je l’admire comme un groupie, mais parce que je me dis qu’il gagne sans doute à être connu, et que je l’imagine comme un excellent ami.

La chanson titre, « Coles corner », raconte précisément un de ces petits moments du quotidiens que l’on a tous vécus et auquel on repense, selon ce qui s’est passé et comment on l’a digéré, avec un spleen léger et passager ou avec une tristesse plus lancinante et cafardeuse.

Comme plusieurs autres chansons, celle-ci décrit les émotions d’un amoureux transi, dont les sentiments ne sont manifestement pas payés en retour. Sur la photo de la pochette de l’album, Richard Hawley attend à Coles Corner (un célèbre lieu de rendez-vous galants de Sheffield), un bouquet à la main, une amoureuse qui ne viendra pas, et suite à ce lapin cuisant il se prend à rêver à un autre rendez-vous, plus couronné de succès celui-là, avec une belle et jeune femme qui l’attendra avec un magnifique sourire et une fleur dans les cheveux.

L’imaginaire est adolescent, mais sans condescendance. Richard Hawley se souvient simplement de ce qu’il a vécu, il se décrit avec bienveillance et tendresse, il s’adresse gentiment au jeune homme amoureux qu’il a été, sans lui faire sentir qu’il a été naïf ou stupide d’y croire – non, il s’est laissé traverser par ses émotions et il les a exprimées sans se masquer, par exemple en prenant soin d’acheter un joli bouquet pour les offrir à la jeune fille qu’il courtisait, juste parce que ça se faisait, parce qu’elle attendait sans doute ce geste-là, et puis aussi pour le plaisir de faire plaisir.

Musicalement, « Coles corner » est une parfaite illustration du style de Richard Hawley. Elle ouvre l’album sur une splendide phrase musicale de cordes délicates, qui nous met tout de suite au diapason: ici on n’aime pas le bruit et la fureur, et on s’attache à ciseler une musique qui transporte et plane très haut au dessus de la mêlée. En l’écoutant la première fois, j’ai tout de suite été saisi par la beauté de ces mélodies, et par ce refrain magnifique:

« I’m going downtown where there’s music

I’m going where voices fill the air

Maybe there’s someone waitin’ for me

with a smile and a flower in her hair »

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