Benjamin Biolay – « La superbe »

Biolay, encore lui.

Oui je sais, il peut être irritant par sa noirceur, par sa misanthropie, son arrogance et ses postures de dandy gainsbarrien, par son visage de cire quasi impassible, par la grandiloquence parfois de ses orchestrations, par l’égocentrisme de certains de ses textes, par la tonalité monocorde de son chant…

Mais ces « défauts » sont justement qui le rend impressionnant, troublant, attirant et séduisant. Il faut vraiment qu’il soit brillant et talentueux pour tendre ainsi le bâton sans qu’on ait envie de le battre, pour manquer plusieurs fois de verser dans la variété mais être toujours capable de l’éviter avec maestria, comme on redresse souplement et prestement le volant juste avant une embardée qui semblait pourtant inévitable.

À l’écoute de « La superbe », je me sens épaté par tant d’audace et de diversité. Musicalement, Biolay peut passer dans le même album (double album, certes) de l’électro à la pop sautillante, puis à des morceaux intimistes où il se dévoile de façon bouleversante dans des failles et ses manques. Le registre d’écriture est tout aussi varié, et Biolay se fait tour à tour tendre, cynique, désarmant de sincérité, hautain, érotique, châtié, lourdaud, ingénu… avec comme point commun une poésie chirurgicale, distillée par touches acérées.

La chanson titre, « La superbe », est le troisième chef d’oeuvre de cet album que je partage, après « Brandt rhapsodie » (en jour 51) et « Ton héritage » (en jour 125).

Que ce soit musicalement ou pour le texte, ce morceau plane très haut – il « fait son souverain« , comme disait Brel. J’aime la classe de cette chanson, l’élégance dans la façon de la chanter, avec un soupçon de distance un peu farouche, presque de dédain… qui néanmoins ne trompe pas: cet homme est à fleur de peau, et il n’y a rien de plus beau et émouvant, je trouve, qu’une personne à fleur de peau. Biolay y exprime une mélancolie intense, un sentiment d’être vaincu par la fatalité, et en même temps il met un point d’honneur à sublimer ces émotions douloureuses et à en tirer malgré tout quelque chose de beau – s’il faut couler, autant que ce soit avec grâce.

Comme presque toujours, Benjamin Biolay fait ici preuve d’une grande maîtrise de la composition musicale et des arrangements, qui sont d’une harmonie très haut de gamme (ah, ces violons amples, puissants et lancinants, d’autant plus mis en valeur qu’ils contrastent avec une boîte à rythme assez froide et avec quelques accords de piano scandés).

Quant au texte, il fourmille de formules qui évoquent, de façon subtile et puissante, les troubles de l’âme. Par exemple, Biolay n’a pas besoin de longs discours pour décrire comment se manifeste chez lui la mélancolie, il lui suffit de dépeindre le « le plafond décrépit qu’on observe à l’horizontale » . Quelle puissance d’évocation, en seulement neuf mots…

Mais derrière tout ça, il y a aussi un hymne aux plaisirs de la vie, en tous cas à leur attente enfiévrée. Cette chanson fait partie de celles que je trouverais belles à mourir quand bien même elle ne contiendrait que cette seule phrase, comme tombée du ciel:

« On reste, Dieu merci, à la merci d’une étincelle »

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