Melody Gardot – « My one and only thrill »

Après Björk hier, voici encore une splendide chanson d’amour chantée par une femme, que je ne me lasse pas d’écouter.

Melody Gardot est une auteure, compositrice et interprète qui a grandi dans les environs de Philadelphie, et qui n’avait que 24 ans lorsque son deuxième album « My one and only thrill » est sorti en 2009.

Son style assez difficile à classer: c’est une chanteuse de jazz vocal, mais au gré des albums et des morceaux, elle intègre des éléments issus de la bossa nova, du folk, de la country, du blues, parfois du classique, du fado, du rock… Autant qu’un mélange d’influences, le style de Melody Gardot est une alternance entre les influences: elle est souvent là où ne l’attend pas. C’est d’ailleurs le cas aussi sur le plan géographique, car elle a vécu sur de longues périodes dans différentes grandes villes à travers le monde, notamment à Paris qu’elle adore (elle parle à peu près couramment le français, avec un accent délicieux et sexy).

La vie et la musique de Melody Gardot ont été profondément marquées par un accident extrêmement grave qui lui est arrivé à l’âge de 18 ans: alors qu’elle roulait en vélo, elle a été renversée par un chauffard en 4×4 qui n’a pas respecté un feu rouge et qui l’a laissée pour morte. Sévèrement polytraumatisée (atteinte au crâne, au bassin et à la colonne vertébrale), elle est restée à l’hôpital pendant un an, et elle a du suivre une très longue et pénible rééducation pour réapprendre à exécuter des tâches courantes aussi simples que manger avec des couverts ou marcher (encore aujourd’hui, elle est obligée de s’appuyer en permanence sur une canne).

Cet accident a transformé sa manière de composer et de jouer de la musique, puisque ses blessures l’ont très longtemps empêché de s’asseoir et de jouer du piano, par lequel elle avait appris la musique. Elle s’est donc tournée vers la guitare, et aujourd’hui c’est avec cet instrument qu’elle compose et qu’elle joue en concert.

Melody Gardot a aussi gardé quelques lourdes séquelles neurologiques de son traumatisme crânien. Par exemple elle est hypersensible à la lumière, ce qui l’oblige à porter en permanence des lunettes teintées. Plus ennuyeux pour une musicienne, elle a des troubles de la mémoire et elle a en partie perdu la notion du temps. Elle dit qu’elle se réveille souvent sans se souvenir de ce qu’elle doit faire dans la journée, et de ce fait elle décrit sa vie comme une aventure qui consisterait à « escalader le mont Everest tous les jours » .

Étant donné le parcours de Melody Gardot et les handicaps lourds dont elle souffre, sa musique est d’autant plus étonnante et merveilleuse. Peut-être parce que la musique est justement ce qui l’a sauvée, en tous cas ce qui lui a donné un horizon vers lequel tendre au cours de sa rééducation, et un univers dans lequel elle peut se sentir en sécurité et à l’aise lorsqu’elle écrit, compose, joue et chante. C’est peut-être un lieu commun, mais pour elle la guérison est venue de la musique. Melody Gardot est un exemple vivant de tout ce que peut apporter la musicothérapie – et d’ailleurs elle est fortement engagée en faveur de son développement.

J’ai décrit en détail l’histoire de Melody Gardot parce que ses producteurs et sa maison de disques Verve ont clairement essayé de surfer sur cette vague pour la lancer et en assurer la promotion, à grand renfort de pathos.

Sur ce deuxième album, tout est fait pour vendre Melody Gardot comme une nouvelle chanteuse jazzy à la Norah Jones, Diana Krall ou Stacey Kent: la pochette glamour (trench-coat noir, longue chevelure blond platine et regard de pin up un peu triste…), la production et l’orchestration luxueuses… Une jeune et jolie blonde américaine, accidentée de la vie et qui s’appelle Melody: la ficelle ne serait-elle pas un peu grosse ? À la première écoute, on peut être tenté de l’assimiler à ces chanteuses faciles à écouter en toutes circonstances, notamment en arrière-fond sonore lorsqu’on reçoit des amis à dîner. C’est du jazz vocal très accessible (un critique a dit « de la variété sophistiquée » ) , et qui se vend évidemment bien mieux que le be-bop ou le free jazz.

Mais je me moque de ces classements, car je prends énormément de plaisir à écouter cette musique classieuse et suave, ces orchestrations finement ouvragées de cordes, de harpe, de trompette, de cuivres désinvoltes et de percussions aériennes. C’est une forme de classicisme qui me repose et me ravit à la fois.

Quant à la voix de Melody Gardot, elle est expressive, lumineuse, pure et limpide, elle semble couler librement et tranquillement comme l’eau d’une fontaine, mais elle est aussi caressante, féline, d’une sensualité assez dingue pour une jeune femme de cet âge. Oui, c’est du jazz vocal feutré, et j’adore.

Sur cet album, j’ai déjà partagé le sublime « Our love is easy » , l’une de mes chansons d’amour préférées. Un morceau d’une élégance sereine et d’une maturité assez stupéfiante, qui décrit ce qui est aujourd’hui pour moi l’idéal du couple.

« My One and Only Thrill » , est une autre célébration amoureuse tout aussi apaisée au couplet, mais qui est plus étrange et déstabilisante, avec son introduction mystérieuse au violoncelle, ses ponts presque silencieux, son texte suspendu dans les airs à plusieurs reprises… Si les oiseaux cessent de chanter, si les vagues ne vont pas jusqu’au rivage, si les tacs ne répondent pas aux tics, si les œufs ne s’ouvrent pas, peu importe, chante Melody Gardot, puisque le seul et unique frisson qui vaille, c’est toi. C’est un romantisme désuet et adolescent, sans doute, et j’ai passé l’âge de croire à ce genre de déclarations… Mais ça reste délicieux.

« But it don’t matter, ’cause

when I’m with you,

my whole world stands still

You’re my one and only thrill »

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