The Verve – « Lucky man »

J’ai déjà décrit en détail le groupe anglais The Verve lorsque j’ai présenté « Bitter sweet symphony » (jour 198), qui est à mon avis le principal le joyau de leur troisième et splendide album « Urban hymns » .

Le principal joyau, mais pas le seul. Sur ce disque, « Drugs don’t work » est excellent aussi, et d’autant plus touchant lorsqu’on sait qu’à l’époque, Richard Ashcroft, surnommé « mad Richard » , était peut-être accro à toutes les substances possibles et imaginables.

Le contraste entre ce que l’on sait de la vie du roi fou à ce moment-là, et ce qu’il chante dans « Lucky man » , en fait également la saveur douce-amère (cette chanson là aussi est bitter sweet!). Pour être englué dans la drogue, il faut avoir bien du mal à supporter la réalité, et ce n’est pas précisément un indice de bonheur. Mais le bonheur est aussi un horizon que l’on garde en tête, dont on essaye de s’approcher, dont on essaye de goûter la saveur, ou de la retrouver.

Il y a un beau livre du psychiatre Christophe André que j’aime bien feuilleter de temps à autre, pour la clarté de ses textes et pour la subtilité avec laquelle il analyse douze tableaux en les reliant à ce qu’il appelle les « saisons du bonheur » . Parmi les phrases de ce livre qui m’ont marqué et auxquelles j’essaye de repenser souvent, il y a celle-ci: il est important de « prendre conscience de nos moments de bonheur, et de les nommer. Il y a une phrase magique, comme en inventent les enfants, une seule phrase, à se dire chaque fois qu’un bonheur passe. Cette phrase, c’est simplement: «Cet instant est un instant de bonheur»  » .

D’une certaine façon, c’est un peu ce que je ressens de l’état d’esprit de Richard Ashcroft quand il a écrit, composé et chanté « Lucky man » . Son quotidien ne devait pas être très paisible et joyeux (enfin j’imagine), mais il avait quand même assez de désir de vivre pour créer cette chanson qui nous entraîne dans un flux d’optimisme.

Le morceau démarre par quelques accords entraînants de guitare sèche, bientôt rejointe par quelques notes de guitare électrique réverbérée qui reviennent comme un gimmick, puis par la batterie, la basse… La fin de l’intro enchaîne sur une chanson qui devient typiquement britpop, avec une jolie mélodie qui reste dans la tête, une montée en puissance progressive… Une parfaite réussite.

Le texte de « Lucky man » décrit ce qu’est « plus ou moins » le bonheur: quelque chose de subtil, qui va et qui vient selon les moments, les rencontres, la qualité de nos relations, l’état de notre corps ou les nouvelles du monde (« Happiness, coming and going » ). Un état d’esprit imperceptiblement différent de celui qu’on a quand on est englué dans un léger spleen (« It’s just a change in me » ) , peut-être lié à un sentiment un tout petit peu plus fort de liberté (« something in my liberty » )… Un état d’esprit qui est en réalité plus un équilibre fragile qu’un état bien stabilisé, car on a toujours des choix à faire qui risquent de le fragiliser ou de l’anéantir (« But how many corners do I have to turn ? » ) , toujours des leçons à apprendre, si bien qu’en bonheur on ne sera jamais que des débutants (« How many times do I have to learn / all the love I have is in my mind ? » )

N’empêche, il y a des moments où la vie paraît plus légère qu’à d’autres. On a autour de soi beaucoup d’opportunités qui rendent la vie plaisante (un amour, des amis, des enfants, de la musique, un cadre de vie paisible, des activités agréables…). On se sent utile, apprécié et même aimé exactement tel qu’on est (« I’m stood here naked » ). On se sent aussi, c’est essentiel, en accord avec soi-même (« I feel no disgrace / with who I am » ) , on a de soi-même l’image de quelqu’un qui est plutôt bien et dont on aimerait bien être l’ami.

Dans ces moments-là, on a l’impression d’avoir de la chance.

Alors on a envie de sortir se promener en souriant, en sifflotant ou en chantonnant, pour profiter du soleil, de la vie et du temps qui passe, sereinement. Ou bien, comme Richard Ashcroft et ses amis de The Verve, de jouer de la musique dans un immense loft lumineux avec vue sur la Tamise.

Ce n’est pas tous les jours qu’on se sente comme ça. Mais quand ça arrive, c’est bon.

« But I’m a lucky man

with fire in my hands »

« Happiness, something in my own place

I’m stood here naked, I smile and I feel no disgrace

with who I am »

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