C’est l’une des chansons qui comptent le plus pour moi, et pour des raisons très intimes.
Je l’écoutais beaucoup et elle me tournait souvent dans la tête dans les années durant lesquelles je me suis petit à petit enfoncé dans une dépression larvée, avant qu’elle m’engloutisse tout à fait en 2016. J’avais la sensation de tout rater, surtout de tout gâcher, d’être empêtré dans une vie qui ne me convenait pas, d’être usé, épuisé, éteint, et de ne servir à rien, d’être un poids pour tout le monde. D’être « inutile et hors d’usage » . Je trouvais que ce que cette chanson décrivait, c’était moi, c’était ma vie, ou les lambeaux qu’il en restait.
J’avais surtout l’impression désespérante de ne plus savoir comment faire pour demander, donner et recevoir de l’amour, même avec les personnes qui comptaient le plus le plus pour moi.
Je n’arrivais plus à rien, je voulais changer plein de choses mais je ne savais pas comment, je n’osais pas, ou je le faisais n’importe comment, plus pour fuir que par attraction ou par désir. Et je culpabilisais, je me trouvais d’autant plus nul d’être incapable de sortir de cette spirale négative.
Est arrivé un moment où j’ai senti que j’étais en train de mourir, littéralement, et en plus de faire du mal aux miens.
C’est alors que j’ai décidé d’entamer une thérapie, avec un professionnel compétent et bienveillant. Il m’a fallu un long travail, beaucoup de temps, beaucoup de courage, beaucoup de larmes, et le soutien de mes proches et de mes ami(e)s, pour remonter petit à petit la pente.
J’ai appris à rediriger ma juste colère contre les bonnes personnes plutôt que contre la terre entière et contre moi-même.
À me reconnecter à mes souffrances d’enfant, qui étaient toujours là mais que je ne prenais pas assez au sérieux.
À me traiter moi-même avec plus de respect, de bienveillance et de compassion.
J’ai appris à laisser s’évacuer les émotions les plus douloureuses, à gros bouillons, et ça a permis de faire place à peu près nette pour que le bon puisse à nouveau entrer, pour enfin me laisser toucher par tout l’amour qu’on me donnait (et dieu sait combien il y en avait), pour enfin prendre conscience de mes qualités et du rôle positif que je pouvais aussi jouer dans ce monde.
Ça a été la période la plus terrible de ma vie, mais aussi la plus productive, à tel point que je regrette qu’elle ne soit pas arrivée avant.
Alors si cette chanson est pour moi extrêmement précieuse, c’est parce qu’elle symbolise le moment où je me suis retrouvé au fond du gouffre et face à un choix très clair: soit ne rien faire et sombrer tout à fait, définitivement, soit prendre mon courage à deux mains et essayer de renaître à la vie.
Et par chance, je suis encore là. Cabossé, fendillé, fragile, vacillant, mais encore là.
La musique de cette chanson sans refrain, saccadée de bout et bout, avec juste quelques petites caresses de violoncelle synthétique vers la fin, exprime parfaitement l’atmosphère de la dépression, quand on est englué dans des journées (et des nuits!) interminables, simplement scandées par quelques soubresauts de vie par ci par là.
Quant au texte, il n’y a rien de plus à en dire que « Il est sublime » , et d’autant plus émouvant quand on sait qu’il a été écrit par quelqu’un qui, malheureusement, n’a pas eu la chance d’en revenir. Alors le voici en entier.
« Suis-je inutile et hors d’usage ?
Ou peut-être un peu trop amer ?
Sans perle, simple coquillage,
jeté sur le bord de la mer ?
Déjà en moi je sens l’automne
qui doucement ronge mon corps
L’affreuse angoisse m’emprisonne
Combien de temps jusqu’à la mort ?
Je sens la tragédie qui sonne
comme une odeur nauséabonde
Faudrait-il donc que j’abandonne
Vaut-il mieux compter les secondes ?
Le soir est noir la nuit est blanche
Il est trop tard pour les remords
Soudain je sens mon cœur qui flanche
Et ma mémoire résiste encore
Dans le ciel viennent les nuages
Après tout qu’est ce que ça peut faire ?
Bientôt sera l’heure de l’orage
Bientôt j’entendrai le tonnerre
L’automne se transforme en hiver
J’aurais bien aimé être sage
Il est trop tard je désespère
Suis-je inutile et hors d’usage ?