Voilà un titre que j’aurais à coup sûr inséré dans ma playlist d’un an si je l’avais découvert un peu plus tôt qu’il y a quelques semaines, car je le trouve magnifique sur le plan musical, et le thème me touche particulièrement et personnellement (cela parle d’une femme, mais la leçon vaut aussi pour les hommes – et malheureusement j’ai payé cher pour l’apprendre).
C’est une chanson qui parle d’une femme si blessée par la vie, si à fleur de peau, si hypersensible, qu’elle redoute plus que tout d’avoir à nouveau le coeur brisé, si bien qu’elle consacre toute son énergie à empêcher qu’il puisse être ne serait-ce que fendillé. Et pour conjurer ce risque, quoi de mieux, s’imagine-t-elle, que de se réfugier en permanence à l’abri de hautes murailles, derrière lesquelles rien ni personne ne pourrait l’atteindre?
Malheureusement pour cette femme, cette stratégie ne la rend pas seulement inaccessible aux blessures: elle la coupe aussi, irrémédiablement, des personnes qui ne demandent pourtant qu’à l’aimer, avec toute la bienveillance et la tendresse dont ils sont capables. À force de se méfier et de se protéger derrière sa carapace ou son armure, elle se construit un coeur qu’elle croit peut-être incassable et invulnérable (« Nothing breaks your heart« ). Mais quelle tristesse si le prix à payer pour cela est une solitude lourde comme la pierre…
L’homme qui s’adresse à cette femme, en tous cas, a l’impression qu’elle est loin, très loin, que rien ne peut l’atteindre (« You’re a million miles away / Doesn’t matter anymore« ), et qu’à force de se cacher, elle se rend aussi invisible qu’une aiguille dans une botte de foin (« You’re the needle in the hay« ). Et devant ce constat, il a l’air bien las: les sentiments qu’il aime éprouver lorsqu’il se sent amoureux (« My head is boiling and my hands are freezing« , quelle superbe évocation), il n’a pas ou plus envie de les éprouver pour cette femme, si elle ne se décide pas à abaisser le pont-levis.
Musicalement, The National est ici au sommet de son art. Les arpèges délicats de guitare sèche, les notes subtiles de piano, soulignent avec élégance et pudeur les émotions de cet amoureux transi qui est tenté de jeter l’éponge et de se tourner vers d’autres visages et d’autres bras plus accueillants.
Mais une fois n’est pas coutume, c’est du superbe clip (non officiel) que j’ai envie de parler. Pendant trois minutes, l’écran divisé en deux juxtapose des images en noir et blanc qui évoquent deux univers totalement antagonistes, et dont le contraste évoque magnifiquement la bataille qui se joue dans le coeur de cette femme.
À droite, des avions s’écrasent, des voitures se fracassent, des trains se tamponnent, des bateaux et des immeubles explosent…
À gauche, une danseuse aux yeux fermés explore l’espace avec une douceur infinie et finit par s’allonger sur le sol…
À droite, c’est la violence que cette femme redoute, et la dureté qu’elle maintient pour s’en préserver.
À gauche, c’est la tendresse, la paix et l’abandon qu’elle souhaite et qu’elle attend désespérément.
Mais si elle veut réellement laisser tout cela entrer en elle, il lui faudra prendre le risque de se laisser atteindre, et donc baisser la garde et se montrer telle qu’elle est, sensible, fragile et vulnérable.
Il se pourrait alors qu’elle découvre qu’en réalité, des personnes qui n’ont pas perdu tout espoir, dont le coeur est encore ardent et doux, et qui ont envie de cheminer avec elle, il y en a.
« You tell me you’re waiting
to find someone
who isn’t so hopeless,
but there’s no one »