Michel Jonasz – « Je voulais te dire que je t’attends »

Je ne sais pas si je connais une autre chanson qui exprime de façon aussi déchirante, au sens physique du terme, les émotions, les sensations et les pensées qui tournoient en nous comme des vautours après une rupture amoureuse.

Ce n’est pas au moment précis de la rupture que s’intéresse ici Michel Jonasz (pour ça, écouter plutôt la version en concert de « J’veux pas qu’tu t’en ailles » , dans laquelle il sort littéralement ses tripes devant un public tamponné par le spectacle d’une souffrance aussi aiguë et dévastatrice).

Ce que Jonasz décrit ici, avec une minutie dans les petits détails de la vie quotidienne, c’est la période qui s’ouvre alors: la vie qui semble s’être mise entre parenthèses (« Ma vie s’est arrêtée / quand tu m’as quitté » ), la difficulté de se concentrer et de travailler (« Mes chansons d’amour resteront là dans mon piano » ), le refus maladif d’accepter le verdict de la réalité (« Je t’attends tout le temps / sans me décourager pourtant » ), la décision de n’être là pour personne et certainement pas pour une remplaçante (« Je mettrai mon coeur dans du papier d’argent, / mon numéro d’appel aux abonnés absents« ), les fausses joies lorsque la rêverie parvient sournoisement à laisser croire qu’une réconciliation est possible (« Comme quelqu’un qui n’a plus personne / s’endort près de son téléphone / et sourit quand on le réveille, / mais ce n’était que le soleil » ), le sentiment de ne plus valoir grand-chose (« Vendez mon cœur trois francs cinquante » )…

La philosophe Claire Marin a écrit, à propos de la rupture amoureuse, que « L’être quitté est soudain nu, sans carapace, sans griffes, sans pelage, avec sa colère pour seule arme. Plus nu que l’animal le plus vulnérable. » C’est exactement ce que chante Michel Jonasz.

Sa voix légèrement nasillarde, comme à son habitude, fait merveille pour exprimer la désolation traînante au début de la chanson. Lorsqu’elle s’anime avec la musique à 3’25, emportée par un accordéon tourbillonnant, elle devient carrément parfaite pour transcrire la colère et le sentiment d’injustice qui commencent à poindre au bout d’un moment – et heureusement, car ils annoncent le moment où on va enfin pouvoir se dire qu’on n’a pas mérité ça, que ça suffit, et qu’on ne va quand même pas gâcher le reste de sa vie dans ce deuil amoureux interminable et pathologique.

Depuis cinq (beaucoup trop) longues années d’ambiguïté, cette chanson lacrymale me serre le coeur tout particulièrement.

Cinq ans à rester sur la réserve, à ne rien tenter malgré les opportunités, et même à me sentir embarrassé et à fermer doucement la porte devant telle ou telle qui avait l’air séduite… C’est peu dire que « ma vie s’est arrêtée / quand tu m’as quitté » .

Et plus le temps s’écoule, plus ce sont ces deux vers qui me transpercent le bide: « Je voulais te dire que je t’attends / Et tant pis si je perds mon temps. » Michel Jonasz campe ici un homme qui raisonne comme un enfant, tellement transi de chagrin que jusqu’à nouvel ordre il ne peut que se réfugier dans la pensée magique – car au fond, le message caché de cette chanson, c’est à peu près « Si je l’attends, elle reviendra forcément » .

Aujourd’hui cela fait cinq ans que je perds mon temps, et cela suffit.

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