Franz Schubert – « Die Taubenpost » (Gerald Moore & Dietrich Fischer-Dieskau)

« Le Chant du cygne » (Schwanengesang en allemand) est le dernier recueil de lieder composé par Franz Schubert, dans les derniers mois de sa vie. Il sera publié à titre posthume l’année suivante, avec un titre choisi par son éditeur, en référence au dernier chant merveilleux lancé par le cygne d’Apollon au moment où il sent que sa mort approche.

Ce titre a été parfaitement choisi, car durant ce dernier automne, Schubert, atteint de la syphilis qui détériore son organisme de façon irrémédiable, sait pertinemment qu’il est condamné et que les morceaux qu’il compose sont les derniers.

Contrairement à ses deux autres grands cycles de Lieder (« La Belle Meunière » et « Voyage d’hiver »), « Le Chant du cygne » n’est pas marqué par une grande homogénéité. S’abandonnant à une sorte de fièvre créatrice, Schubert aborde les thèmes qui le touchent tels qu’ils lui viennent, sans se forcer à les rassembler derrière un fil conducteur bien précis. Il évoque donc tour à tour la nature, le sentiment amoureux, la nostalgie, la mort, les hallucinations… Le ton et le style musical sont tout aussi variés: Schubert alterne entre des pièces très mélancoliques, parfois sombres au point de sembler avoir été écrites outre-tombe, et des pièces beaucoup plus légères et apaisées, voire carrément allègres.

Côté dramatique, le sommet (ou plutôt le fond du caveau) est illustré par « Der Doppelgänger » (le double), un lied qui décrit un homme qui retourne sur les lieux de son amour perdu, et qui derrière une fenêtre de la maison désertée, aperçoit un personnage accablé de douleur – lui-même. Le cri de panique qui conclut ce lied est réellement glaçant.

Mais immédiatement après, l’allégresse prend le pouvoir avec « Die Taubenpost » (Le Pigeon voyageur), qui clôt le cycle, et dont on suppose qu’il est la dernière composition de Schubert.

Le poème a été écrit par le viennois Johann Gabriel Seidl, et il raconte les émotions d’un homme amoureux, littéralement transporté par l’amour, aussi sûrement que son pigeon voyageur « dévoué et fidèle » transporte ses messages d’amour à la femme de ses pensées, sans jamais s’égarer, sans jamais manquer son but. La texte de ce poème, dont je cite ci-dessous quelques extraits traduits en français, décrit avec une douceur et une tendresse surnaturelles cette communion d’âmes après laquelle Franz Schubert a soupiré toute sa vie, et qu’il est mort sans avoir vraiment connue, à pas même 32 ans.

Au-delà d’un lied consacré à la maladie d’amour, « Die Taubenpost » est ainsi le symbole de ce que la langue allemande appelle le « Sehnsucht », à savoir le « vague à l’âme » ou la « langueur », l’aspiration au bonheur qui se sait incertaine et fragile, et peut-être condamnée à l’échec et l’insatisfaction. Le Sehnsucht désigne un objet du désir inaccessible, une quête de bonheur qui se heurte à la dure réalité… malgré l’aide de ce vaillant petit pigeon voyageur.

« Des milliers de fois chaque jour,

je l’envoie aux nouvelles,

au loin vers maints lieux chéris,

jusqu’à la maison de celle que j’aime.

Là-bas, il se pose en douce à la fenêtre,

observe son regard et sa démarche,

lui donne mon salut en galéjant,

et vers moi emporte le sien »

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