Horace Silver Quintet – « Song for my father »

Sorti en 1964, l’album « Song for my father » est composé de morceaux au rythme sautillant et aux harmonies assez complexes, mais qui sont adoucies par le fait qu’Horace Silver venait de faire un séjour de trois mois au Brésil, durant lequel il avait été fortement marqué par la bossa nova. On y trouve donc des thèmes et des motifs musicaux qui paraissent un peu « exotiques » par rapport aux albums des stars du jazz de l’époque telles que Miles Davis ou John Coltrane.

C’est particulièrement le cas sur le morceau que je choisis de présenter ce soir.

Si « Song For My Father » (la chanson) sonne un peu comme un cross-over musical, c’est aussi parce que comme son titre l’indique, c’est un hommage rendu par Horace Silver à son père, John Tavares Silver (l’homme au chapeau sur la pochette de l’album). Or celui-ci était d’origine portugaise, et il lui faisait beaucoup écouter de musique traditionnelle cap-verdienne durant son enfance (clin d’oeil à toi Gzav).

Pour deux raisons donc (un voyage au Brésil, et un retour aux sources familiales), la musique de ce morceau est rythmée, chaloupée, dansante, joyeuse (elle me donne envie de danser sur Copa Cabana en compagnie de jolies brésiliennes en string), mais aussi légèrement mélancolique et même plaintive, comme souvent dans la musique cap-verdienne – d’ailleurs le thème est exposé à la trompette et au saxophone en mode mineur.

Ce que j’aime aussi dans ce morceau, c’est que c’est une musique qui, contrairement au be-bop de Charlie Parker, n’est pas difficile à écouter et à apprécier, bien au contraire. Horace Silver dira plus tard: « J’ai toujours essayé d’écrire des thèmes faciles à écouter, faciles à jouer » . Ici le contrat est rempli, bien que le morceau ne soit pas du tout superficiel (cf. le somptueux solo de Joe Henderson au sax tenor). J’aime beaucoup cette simplicité et cette élégance tranquille.

Et puis il y a ce titre, « Song For My Father » , qui en fait un morceau à partager un jour de fête des pères.

Le mien, de père, n’a pas forcément été très heureux durant sa vie, je crois. Il n’a pas toujours su se faire aimer, ce qui l’a rendu encore plus malheureux, surtout ces dernières années. Peut-être que j’interprète à tort? J’espère vraiment que je me trompe. En tous cas je l’ai si souvent vu caché derrière une cuirasse de devoir, de service aux autres (le travail, les responsabilités associatives, un mandat d’élu local), de joutes intellectuelles, de restriction des émotions… Il ne nous a quasiment jamais, mes frères et moi, ouvert sur son monde intérieur: nous savons parfaitement ce qu’il pense, quelles sont ses opinions et ses convictions, mais quant à ce qu’il aime, ce qui le touche et le fait vibrer, quelles sont ses grandes fiertés, quels sont les regrets et les chagrins secrets de son existence, ce qu’il a rêvé de faire et qu’il n’a pas pu atteindre, ce qu’il voudrait faire s’il avait une deuxième vie devant lui, tout cela reste toujours pour nous un grand mystère. Le sien, de père, était exigeant, et pas du tout démonstratif concernant son affection, et bien sûr cela n’aide pas à exprimer la sienne et à se montrer vulnérable de façon libre et authentique…

Cette description, je sais que beaucoup d’amis pourraient la reprendre à peu près à leur compte à propos de leur propre père, à leur grand regret. Dans la longue chaîne qui va des pères aux fils, et ainsi de suite, que de malentendus, que de frustrations, que de chagrins…

Mais il n’est jamais trop tard pour corriger le tir, et des nouveaux départs sont possibles – j’en ai eu récemment une très belle preuve.

À tous les pères corsetés et embastillés de l’intérieur, je souhaite de s’ouvrir et de s’apaiser, enfin.

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