Benjamin Biolay- « Si tu suis mon regard »

Avec « La superbe », son sixième album sorti en 2009, Benjamin Biolay a balancé une sacrée claque à l’essentiel de la chanson française.

La plupart des auteurs-compositeurs bien de chez nous se contentent d’un service minimum en termes d’écriture poétique et musicale ou d’orchestration, d’une balade pépère et de descentes en roue libre, d’une navigation plan-plan le long du rivage.

Biolay, lui, a en horreur le confort douillet: voilà un gros coeur qui sort par gros temps, voilà un romantique téméraire qui s’extrait du peloton dès les premiers lacets du premier col de l’étape avant de dévaler les lacets à tombeau ouvert. C’est un fildefériste qui prend le risque de danser sur la corde raide qui sépare le splendide du navrant, le touchant du grotesque, le réjouissant du ridicule, le brillant de l’esbroufe.

Sur cet album, quelques chansons tombent du mauvais côté, mais par la magie de cette ambition et d’une sensibilité hors du commun, plusieurs sont directement entrées dans mon Panthéon musical: la chanson titre, d’une beauté confondante et raffinée (« On reste malgré tout à la merci d’une étincelle« , quelle merveilleuse façon de dire qu’on se tient à l’affût de ce que la vie pourrait nous proposer de bon); « Brandt rhapsodie » (la traumatisante chronique d’une déliquescence conjugale); « Ton héritage » (peut-être la plus bouleversante chanson que je connaisse sur la transmission du flambeau entre un père et son enfant)…

En un seul album, Biolay a extrait des tréfonds de son âme trois joyaux que n’importe quel artiste, à mon avis, rêverait d’avoir écrit à la fin de sa vie. Respect.

Voici un quatrième extrait de ce disque majuscule, pas du même tonneau que les trois précédents, certes, mais que j’aime beaucoup écouter aussi.

« Si tu suis mon regard » est une pop-song accrocheuse et débridée, drivée par un trio batterie / piano / guitares totalement survolté, et dont le texte fourmille de formules revigorantes à entendre et à chanter (« Avec les yachts de ces millionnaires, débonnaires / qui pissent, le ventre à l’air, dans la mer« ).

C’est la chanson d’un type qui feint de paraître sûr de lui mais qui, en réalité, est mal à l’aise avec lui-même et pétri d’une incurable fragilité (« Si tu suis mon regard, tu verras des doutes« ). J’ai toujours été très touché par la façon dont les faux méchants trahissent, malgré eux le plus souvent, l’extrême sensibilité qui les rend vulnérables, et qui les menace à tel point qu’ils dépensent une énergie folle pour tenter de s’en protéger.

Pour qui sait tendre l’oreille à « Si tu suis mon regard », pour qui sait se mettre à l’écoute du coeur qui se cache derrière l’artiste, c’est bien la détresse qui l’emporte (d’ailleurs la chanson se termine par quelques secondes de sirène d’alarme très assourdie). Et dans la chanson française, il en est peu qui savent l’exprimer avec autant d’élégance et de paradoxale pudeur que Benjamin Biolay.

« Trop longtemps, 100 fois trop longtemps que j’suis tout seul »

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