Billie Holiday – « You don’t know what love is » (Ray Ellis Orchestra)

Dernier album paru du vivant de l’immense Billie Holiday, ma chanteuse de jazz préférée, « Lady in satin » est composé de douze standards – ces chansons célèbres à force d’avoir été reprises, adaptées et réarrangées par d’innombrables musiciens de jazz.

Chacun de ces douze standards est arrangé par le grand orchestre de Ray Ellis et chanté par lady Day avec une classe invraisemblable et inégalable. On n’y entend pas de longs solos ni de scat virtuose: rien que la mélodie magnifiée par les cordes, la trompette et le trombone, qui accompagnent le chant déchiré de Billie Holiday avec toute la délicatesse et le respect du monde.

Tous ces standards sont repris de façon très courte (le seul qui s’étire un peu plus que les autres, sur pas loin de cinq minutes, c’est le dernier, qui s’appelle justement »The end of a love affair »).

J’ai déjà partagé trois titres sublimes de cet album, et en voici un quatrième.

« You don’t know what love is » a été écrit et composé en 1941 par Don Raye et Gene De Paul, deux illustres inconnus dans l’histoire du jazz, pour le film « Keep ‘Em Flying ». Cette chanson marqua si peu les producteurs qu’elle fut retirée du programme du film, avant d’être intégrée dans un autre l’année suivante.

Mais une douzaine d’années plus tard, une reprise instrumentale par Miles Davis himself, puis une reprise vocale par Dinah Washington, et d’autres encore de Sonny Rollins ou de Chet Baker, ont rendu ce morceau populaire… si bien que lorsque Billie Holiday choisit de le chanter en 1958, il s’agit déjà d’un standard.

Le texte, poignant, décrit ce que tout un chacun finit par découvrir un jour de l’amour: on n’y connaît pas grand-chose tant qu’on n’a pas été quitté par une personne que l’on aimait (« Until you’ve loved a love you had to lose / you don’t know what love is« ), tant qu’on n’a pas expérimenté à quel point le fait de ne plus goûter aux lèvres de l’être aimé peut être une morsure, tant qu’on n’a pas pas traversé hagard des nuits blanches, en essayant de se remémorer à quel moment ça a merdé et ce qu’on aurait pu faire pour que cela tourne autrement…

Musicalement, les arrangements de Ray Ellis font sonner « You don’t know what love is » comme une musique de film noir. Je l’imagine très bien comme support d’une scène coupée de « Casablanca » dans laquelle Ingrid Bergman, le regard dans le vide, se demanderait douloureusement ce qu’est devenu Humphrey Bogart depuis la dernière fois qu’ils se sont vus à Paris, un jour où elle portait une tenue bleue dont elle ne sait pas qu’il s’en souvient encore…

« Until you’ve faced each dawn with sleepless eyes,

how could you know what love is?« 

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