Noir désir – « Aux sombres héros de l’amer »

Tout a été écrit sur Noir désir, sur son statut de « meilleur groupe français » auto-proclamé par ses fans, sur sa volonté farouche de proposer « un rock qui dégomme, sans fioriture, droit, intègre, implacable » (selon les mots du journaliste et écrivain Marc Besse), sur ses engagements politiques (« Un jour en France » ), sur sa dénonciation de la modernité (« L’homme pressé » ), sur sa faculté d’exprimer en chanson des émotions brutes (par exemple dans « Tostaky » ), sur son refus de jouer le jeu de la promo à la télévision… et bien sûr sur sa déchéance dès lorsque son chanteur Bertrand Cantat a commis l’irréparable.

Pour ma part je n’ai jamais été très fan, et j’ai d’ailleurs découvert Noir désir sur le tard, à l’occasion d’une fête durant laquelle un ami m’avait fait découvrir « L’homme pressé » . J’avais alors emprunté quelques albums à la médiathèque, mais aucun ne m’avait suffisamment emballé pour que je l’achète. J’étais assez réservé devant cette posture de rebelle que je trouvais un peu forcée, un peu adolescente – disons mal dirigée, pour parler comme un psy.

Lorsque Bertrand Cantat a sauvagement assassiné Marie Trintignant (je me souviens très exactement où j’étais ce jour-là), je n’ai donc pas été totalement surpris. Je m’étais dit à l’époque quelque chose de ce genre: « Voilà encore un mec bouffi de colère qui, faute de l’avoir exprimée à qui de droit, faute de s’être interrogé sur les raisons de son mal-être et de son désir d’absolu, s’est vengé aveuglément. »

Bref, avec Noir désir j’ai vraiment du mal à « séparer l’homme de l’artiste » . Je n’arrive quasiment plus à écouter un de leurs morceaux sans penser à cette abominable tragédie et à ce déchaînement de violence (deux nerfs optiques quasiment détachés…).

C’est sans doute injuste pour les autres membres du groupe, et en tous cas c’est très dommage, car il y a quand même dans la discographie de « Noir dez » de sacrées bonnes chansons, à commencer par celle-ci, qui les a fait connaître au grand public. À coup sûr je ne pourrais plus écouter un seul titre de Cantat en solo, mais pour Noir désir je veux bien faire des exceptions – disons que je sépare l’homme du groupe.

Contrairement à ce que son titre (et son clip) ont pu laisser penser, en dépit de son rythme ternaire et de son refrain entonné par le groupe tout entier comme on beugle dans un bouge en fin de soirée, « Aux sombres héros de l’amer » n’est en rien une chanson de marins en hommage à ceux qui ont péri en mer.

En réalité, elle parle de la façon dont les humains traversent leur vie, des périodes de creux qu’ils doivent subir, des échecs ou des erreurs dont ils doivent tirer les leçons. Bertrand Cantat, amateur de poésie et de culture espagnole, y fait quelques allusions à Verlaine (« les sanglots longs » ) à Charles Perrault (« Ne vois-tu rien venir? » ), à Baudelaire… Tout cela donne à cette chanson une allure néo-romantique, sombre et torturée.

Comme l’âme de son leader, pour le plus grand malheur des femmes qui l’ont aimé. Il avait du talent, mais c’était un sale type.

« À la mémoire de nos frères

dont les sanglots si longs faisaient couler l’acide »

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