« Down by the Riverside » fait partie de ce qu’on appelle aux États-Unis les (negro) spirituals, c’est-à-dire les chansons que les esclaves noirs ont inventées et chantées pour se donner le courage de supporter leur condition, de s’enfuir, ou de lutter pour conquérir leur liberté.
Ici le thème de la traversée de la rivière est à comprendre de façon littérale: il s’agit de passer de l’autre côté de la rivière Ohio, qui marquait la frontière entre les états esclavagistes du sud et les états abolitionnistes du nord. Mais ce thème évoque aussi la traversée du Jourdain dans l’Ancien testament, ce qui symbolise le baptême. Dans les deux cas il s’agit de renaissance, de l’accès à une nouvelle vie, à la sécurité, à la paix et au bonheur. Loin des combats. C’est pourquoi ce gospel est généralement joué et chanté de façon non seulement soulagée, mais aussi très allègre et même enthousiaste, comme ici par Louis Armstrong et sa trompette magique.
Même si mon contexte de vie est à des années-lumière de celui des esclaves noirs (ça va mieux en le disant), il m’arrive parfois de penser au refrain de ce spiritual, notamment lorsque je constate encore et encore qu’en dépit de toutes les alertes, la fraction la plus « avancée » de l’Humanité s’entête à foncer en klaxonnant vers le gouffre, en SUV électrique, avec la clim et la sono à fond. Dans ces moments-là, je ressens une grosse et douloureuse impression d’à quoi bon tous ces efforts pour construire un peu de résilience, et j’ai alors envie, moi aussi, de déposer les armes.
Ces moments de découragement ne durent pas forcément longtemps, d’autant plus que mon bon vieux schéma d’abnégation revient alors me tambouriner dans le crâne.
Mais puisque personne ne peut sauver le monde à lui seul, je crois quand même que je ferais bien d’écouter un peu plus souvent le message de ce gospel, de franchir la rivière, et de m’accorder un peu plus de paix de l’autre côté de la rive.
« Je vais poser mon fardeau
le long de la rivière
Je ne m’occuperai plus de la guerre
Je vais poser mon épée et mon bouclier
le long de la rivière
Je ne m’occuperai plus de la guerre. »