« Man on the moon » est une chanson douce-amère qui figure sur le formidable album « Automatic for the People » , sorti en 1992. Avec ce disque solennel à la pochette noire et menaçante, mon préféré de R.E.M, le quatuor originaire d’Athens, Georgia, revient aux sources de la country et de la folk: des orchestrations brutes et rustiques, des ambiances musicales le plus souvent sombres et intimistes, des textes pleins de gravité et d’empathie qui évoquent la désillusion, la dépression, l’euthanasie ou la mort, écrits pour des jeunes déboussolés dont Michael Stipe essaye d’extirper les idées noires… Il paraît que « Automatic for the People » était l’un des albums qu’écoutait le plus Kurt Cobain avant de se suicider. Ça ne peut pas marcher sur tout le monde…
Bien que la mélodie et les riffs de guitare acoustiques soient ici plus enlevés que sur la plupart des autres morceaux, « Man on the moon » illustre assez bien la tonalité générale de l’album. C’est une drôle de chanson, rythmée mais un peu bancale, folk mais tourmentée, joyeuse mais subtilement mélancolique, dans laquelle Michael Stipe chante un texte plutôt foutraque avec une voix qui a ici et là quelques accents de douleur…
Le caractère paradoxal de « Man on the moon » s’explique sans doute par le fait qu’elle est un hommage à l’acteur et comique Andy Kaufman, américain lui aussi, et qui revendiquait de pratiquer un humour absurde, voire un « anti-humour » . Ce personnage perché, mort à l’âge de 35 ans seulement, était connu pour son caractère farceur et lunatique – comme on dit, ils étaient parfois plusieurs dans sa tête.
Le titre de la chanson fait référence à une rumeur selon laquelle Andy Kaufman avait simulé sa propre mort. À l’époque, certains affirmaient que les astronautes américains Neil Armstrong et Buzz Aldrin n’avaient en réalité jamais atterri sur la lune le 20 juillet 1969 (on en était alors aux balbutiements des théories du complot, qui étaient assez anodines comparées aux délires paranoïaques actuels). R.E.M. s’est alors amusé à faire le parallèle entre les deux canulars prétendus, entre trois personnes qui, chacune à leur manière, ont passé une partie de leur vie « dans la lune » .
Autre genre de collision spatio-temporelle: le texte de « Man on the moon » aborde plusieurs facettes de la personnalité d’Andy Kaufman (son goût pour la lutte et ses imitations d’Elvis Presley), mais Michael Stipe, peut-être par identification avec son personnage, évoque aussi certains de ses propres souvenirs d’enfance (par exemple des jeux de société tels que le « Monopoly » et le « Risk » ).
La chanson a tellement marqué que quelques années plus tard, quand Milos Forman a consacré un film à Andy Kaufman (on ne disait pas encore un biopic), avec le foldingue Jim Carrey dans le rôle principal, il l’a choisie comme titre. C’est dire l’influence de ce groupe phare de la scène rock indé sur l’ensemble de la culture contemporaine, spécialement avec ce disque qui est pour moi un véritable chef d’oeuvre.