Léo Ferré – « Les anarchistes »

Léo Ferré s’est fait une spécialité de mettre en musique des poèmes magnifiques de quelques-uns des grands poètes de la langue française (Apollinaire, Baudelaire, Aragon…) Sa passion pour la poésie est telle que certains de ses propres textes donnent l’impression d’avoir été simplement adaptés, alors que c’est bel et bien lui qui les a écrits. C’est le cas avec cette chanson, dont les paroles et les alexandrins bien léchés (avec césure à l’hémistiche) sont d’un classicisme presque désuet.

Léo Ferré a écrit « Les anarchistes »en mai 68, et il y rend hommage à la petite cohorte de libertaires qui refusent de ployer le genou devant quelque pouvoir que ce soit, en dépit de l’ostracisme, du mépris et de la violence dont ils sont victimes (« Ils ont tout ramassé, des beignes et des pavés« ). Ils sont rares (« Y’en a pas un sur cent et pourtant ils existent » ), ils sont éparpillés un peu partout, mais le souvenir de leurs combats passés continue à les relier, à garder leur amitié vivace, à leur donner du courage et à les maintenir en joie (« Joyeux, et c’est pour ça qu’ils sont toujours debout » ).

J’aime beaucoup cette chanson fière et menée tambour battant, avec ses roulements de percussions et ses explosions de cuivres pétaradantes, pour sa passion galvanisante, et surtout pour la ferveur avec laquelle elle exprime la solidarité qui se tisse et demeure entre de vieux militants, de vieux frères d’armes. Elle me fait penser à la magnifique bande dessinée d’Enki Bilal, « La partie de chasse » , qui avait été offerte à la fin de nos études à mon ami Elric, avec cette dédicace: « Il en restera toujours quelque chose » . C’est très exactement ce que disait cette BD, et cette chanson aussi, je trouve.

Leo Ferré a chanté pour la première fois cet hymne fraternel au gala annuel de la Fédération anarchiste, devant laquelle il se produisait gratuitement depuis 1948. Il paraît qu’à la fin de sa vie, il ne voulait plus la chanter en public, car il craignait qu’elle soit utilisée par certains anarchistes comme un hymne – et comme il l’a lui-même écrit, « le drapeau noir, c’est encore un drapeau » .

Heureusement il a fait quelques exceptions, comme dans son concert au TLP Déjazet en 1988. Chantant sur la bande son de l’enregistrement original, Léo Ferré y apparaît fatigué (il a alors 72 ans), sa voix s’essouffle parfois quand il la pousse dans les aigus ou quand il lui demande de tenir la note… mais comme très souvent, l’émotion s’exprime alors de façon d’autant plus puissante, notamment à la fin de ce magnifique couplet.

« Ils ont un drapeau noir en berne sur l’espoir

et la mélancolie pour traîner dans la vie,

des couteaux pour trancher le pain de l’amitié,

et des armes rouillées pour ne pas oublier »

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