Billie Eilish – « Everything I wanted »

Si vous avez des ados ou des élèves qui vous semblent tristes et qui aiment Billie Eilish, et si vous ne savez pas bien ce que chante cette jeune californienne, je vous invite à lire ce qui suit et à cliquer sur le lien pour écouter cette magnifique chanson: cela vous aidera peut-être à décoder un peu de leurs tourments intimes.

Quand elle a écrit « Everything I wanted » , Billie Eilish n’avait pas même 18 ans, et elle était en pleine dépression. C’est de cela dont elle parle dans cette chanson, d’une façon très émouvante et qui parle au coeur de bien des jeunes. J’ai accompagné Aurore à son dernier concert à Bercy, et je m’en souviens comme d’une étonnante expérience de transe musicale, durant laquelle les fans, essentiellement des filles et pour la plupart à peine sorties de l’adolescence, se sont époumonées à chanter toutes les paroles de toutes les chansons. Et à ce qu’il m’a semblé, elles ont été particulièrement expressives sur cette chanson, sans doute parce que son thème résonne beaucoup en elles. Comme l’écrit une fan (un fan?) sous cette vidéo, « This song sounds like heaven but hurts like hell. »

Ce dont parle « Everything I wanted », c’est du besoin intense de sécurité et de protection – autrement dit de ce qui, une fois que les fonctions vitales sont assurées, est sans doute notre premier besoin, bien avant le besoin d’amour, d’affection ou d’accomplissement. Bien sûr, il est important pour nous de pouvoir nous épanouir, être écoutés et respectés. Mais nous avons d’abord et avant tout besoin de nous sentir en sécurité là et avec qui où nous sommes, de savoir qu’ici et avec cette personne il ne pourra rien nous arriver de grave, et qu’en tous cas s’il nous arrive quelque chose de grave, cette personne sera là, prendra soin de nous, nous entourera de ses bras, de ses mots, de ses regards, de sa présence, de son attention et de son affection.

Dans le clip, avant que la chanson ne commence, une phrase de Billie Eilish exprime ce besoin par ces mots tout simples: « Finneas is my brother and my best friend. No matter the circumstance, we always have and always will be there for each other » . Je trouve cette déclaration d’amour et d’amitié très touchante, d’autant plus qu’Aurore elle-même trouve très touchante la relation entre Billie Eilish et son frère – et tout ce qui émeut ma fille m’émeut aussi, énormément.

La construction de cette chanson en fait un dialogue entre une jeune femme fragile, émotive et impressionnable (c’est elle qui parle dans les couplets), et un ami qui prend la parole dans les refrains pour la rassurer, l’apaiser, et même la valoriser.

Dans le premier couplet, Billie Eilish y raconte que dans un rêve, elle a imaginé que tout ce qu’elle désire était réalisé (« I had a dream / I got everything I wanted » ), mais que ça l’a plongée dans une détresse folle (« If I’m being honest, / It might’ve been a nightmare » ), car elle s’est rendue compte alors que ce qui était son plus cher désir, c’était de mourir – en l’occurrence en se jetant du haut du Golden gate.

Tout aussi effrayant, Billie Eilish a pris conscience à l’occasion de ce cauchemar de sa terreur que les gens l’aiment en réalité bien moins qu’ils le prétendent, à tel point que sa disparition passerait totalement inaperçue (« Nobody cried / Nobody even noticed » ).

Le deuxième couplet raconte un autre cauchemar dans lequel Billie Eilish dit avoir ressenti durement les méfaits de la célébrité, le regard des autres, scrutateur, jugeant et dévastateur (« They called me weak » / « It felt like they were right there » ), la façon dont ils exploitent sa gentillesse et sa vulnérabilité (« Everybody wants something from me now« )…

Heureusement, chante Billie Eilish dans les refrains, au réveil, quelqu’un était là pour la rassurer »: « And you say / « As long as I’m here, no one can hurt you (…) If I could change the way that you see yourself (…) They don’t deserve you »  » .

Tout le monde, je crois, a connu assez de moments sombres dans la vie pour savoir que dans ces cas-là, c’est à peu près ce qu’on a envie d’entendre: « Ne t’inquiète pas, je suis là, je prendrai soin de toi… Quel dommage que tu aies une si mauvaise image de toi-même… Tu as de la valeur, n’en doute pas… »

La beauté de « Everything I wanted » , je trouve, c’est la façon dont la musique souligne cette alternance, cette oscillation fragile entre d’un côté le brouillard, le désespoir, l’épuisement, l’effroi et l’envie de disparaître, et de l’autre côté la lumière, l’espoir, le soulagement, le désir de légèreté et d’abandon.

Dans les couplets, lents et lunatiques, chantés les yeux dans le vague, la voix est lasse et d’une tristesse insondable, la diction et la mélodie sont si mornes qu’à vrai dire ce n’est pas vraiment un chant que l’on entend, plutôt une mélopée infiniment désolée. Quant à la musique, élégiaque, écrite dans une tonalité mineure, elle est ici composée d’un piano et de claviers ouatés, d’une boîte à rythme légère et brumeuse, de sons assourdis qui donnent l’impression d’être enregistrés sous des eaux troubles…

Mais dans les deux occurrences du refrain, la voix de Billie Eilish s’envole, précise, délicate, chaude, d’une douceur infinie – splendide. Et dans les deux cas elle est accompagnée, portée, soulevée, par une musique qui s’anime soudain, par une basse monstrueusement grave qui fait battre le coeur aussi fort que lorsque, enfin, on sent qu’on a trouvé quelqu’un devant qui on va pouvoir s’abandonner et se (dé)livrer.

Enfin.

« But when I wake up,

I see You with me,

and you say,

«As long as I’m here, no one can hurt you »  »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *