Parmi les standards de jazz les plus célèbres, il n’y en a pas des masses qui ont été composés par des européens, mais en voici un, particulièrement sublime dans cette interprétation de l’immense pianiste Bill Evans.
« What are you doing for the rest of your life » a été composée en 1969 par Michel Legrand sur des paroles d’Alan et de Marylin Bergman, pour la bande originale du film « The happy ending » . Ce film décrit la lente dérive d’un couple qui, vu de l’extérieur, avait pourtant « tout pour être heureux » , comme on dit souvent (assez bêtement, car quand on a vraiment « tout pour être heureux » , eh bien on est heureux, voilà tout; et si on n’est pas heureux, c’est qu’il manque quelque chose d’essentiel, ne serait-ce que la capacité à profiter du bonheur).
Parmi les reprises les plus connues de « What are you doing for the rest of your life » , on peut citer celles de Frank Sinatra, de Milt Jackson, de Sarah Vaughan, de Carmen McRae ou de Stacey Kent (et en dehors de l’univers du jazz, celles de Barbra Streisand ou Sting).
Mais après les avoir toutes écoutées, pour moi il est clair qu’aucune n’arrive à la hauteur de cette version du Bill Evans trio: intense, fiévreuse, à fleur de peau, et pourtant aérienne, elle est une invitation parfaite à la méditation et à l’introspection.
Ce n’est pas à cela que Legrand et les Bergman pensaient quand il ont écrit ce morceau. En effet, dans le film de Richard Brooks, celui-ci est la supplique d’un homme amoureux qui demande à la femme qu’il aime encore passionnément « Qu’est-ce qui a mal tourné? » , et qui espère que le reste de leurs vies se déroulera en commun:
« I have only one request of your life:
That you spend it all with me
All the seasons and the times of your days
Are the nickels and the dimes of your days
Let the reasons and the rhymes of your days
All begin and end with me »
Pour ma part, j’ai plutôt envie d’interpréter le titre de « What are you doing for the rest of your life » comme une question que je me pose à moi-même. Que vais-je faire du temps qui me reste? Où vivre, auprès de qui, et pour faire quoi?
Autant d’énigmes auxquelles je ne parviens toujours pas à trouver une réponse qui m’apaise…