Comme l’a écrit Friedrich Nietzsche, « Celui qui possède un pourquoi saura supporter bien des comment » . Avoir la conviction chevillée au corps que ce que l’on fait est utile et a du sens, que cela crée une différence positive dans ce monde, que c’est « aligné » avec ses valeurs, cela donne un courage qui, dans les bons moments, peut sembler non pas inépuisable, mais assez puissant tout de même pour supporter une bonne dose de fatigue, de froid ou d’isolement.
Mais point trop n’en faut, quand même.
Quand la réponse au « pourquoi? » vient à manquer ou se fait incertaine, quand tout se lézarde et s’effrite, le découragement guette, et avec lui la fatigue et la tristesse. Alors me vient en tête cette belle formule de Georges Bernanos, l’une des plus émouvantes que je connaisse: « Le démon de mon coeur s’appelle «À quoi bon?» «
J’avoue qu’en ce moment, quand je vois à quelle vitesse le désastre se déploie dans absolument toutes les dimensions (le climat, la biodiversité, le cycle de l’eau, le système de santé, le système scolaire, le règne sans partage des algorithmes et du « panem et circenses », la restriction des libertés publiques, la criminalisation des militants écologistes…), et quand je constate l’indifférence ou la tétanie que cela suscite chez la plupart de mes contemporains, je me demande un peu à quoi servent les efforts auxquels je m’astreins pour essayer d’injecter un peu de résilience dans ce monde.
Ou en termes plus crus, je me demande un peu pourquoi je me casse le fion à colmater des trous que d’autres percent, creusent et élargissent avec entrain et bonne conscience.
Grosse fatigue.
Bernanos 1, Nietzsche 0.
Vivement le match retour.
[« Ajax mélancolique » (bronze du 1er siècle) / Bâle, Musée de l’Antiquité]