Sortie en 1987 sur l’album « Strangeways, Here We Come », cette courte chanson (seulement 2’03) allie, comme très souvent chez les Smiths, un texte grave et une mélodie aérienne et même carrément enjouée. Parolier du groupe, Morrissey aimait beaucoup aller subtilement à l’encontre des clichés joyeux et romantiques qui caractérisaient à l’époque les prémisses de la britpop.
« Girlfriend in a coma » est une chanson d’amour étrange et troublante, et profondément émouvante, car elle parle d’un garçon qui, au sens le plus concret et littéral du mot, a peur de perdre sa petit amie.
Perdu dans la salle d’attente d’un hôpital, ce garçon est pétrifié d’angoisse à l’idée d’aller voir cette fille dans le coma (« No, I don’t want to see her » ), bien qu’il sache qu’elle est dans un état grave (« I know, it’s really serious » ), et bien qu’il attende désespérément que les médecins le rassurent (« Do you really think / she’ll pull through? » ).
Si dans un premier temps il reste à la porte, au point peut-être d’avoir envie de s’enfuir lâchement, c’est peut-être parce qu’il sait, ce garçon, qu’il n’a pas toujours bien traité sa petite amie, et même que parfois il en a tant eu sa claque qu’il aurait bien pu l’étrangler (« There were times when I could have murdered her » ). Alors il a beau être terrorisé qu’elle disparaisse (« But you know, I would hate / anything to happen to her » ), peut-être se sent-il coupable.
Finalement, ce garçon trouve la force de demander à voir sa petit amie et d’aller lui dire adieu, et ce sont les derniers mots de la chanson, déchirants: « Let me whisper my last goodbyes. »
« Girlfriend in a Coma » est donc autant une chanson d’amour qu’une chanson sur le deuil, sur le refus d’abord d’accepter la réalité, sur la distance apparente que l’on affecte, puis sur la douleur qui s’installe et envahit l’âme en entier, le besoin de voir l’autre et de le voir encore pour s’approprier son image avant qu’il disparaisse.
Et parce que Morrissey est bien plus subtil que la simplicité de ses textes le laisse croire, ce n’est pas de n’importe quel deuil qu’il s’agit, mais de ceux que le SIDA infligeait depuis quelques années, notamment au sein de la communauté homosexuelle. En 1987, il avait déjà eu le temps de voir cette maladie briser les vies de beaucoup d’amis, d’amants peut-être, et cette chanson est une réponse à la tragédie, une manière de sublimer ses émotions et d’avancer dans le douloureux travail de deuil.
Pour exprimer la douleur de la perte, la musique comme le texte prennent soin de ne pas s’apitoyer. La ligne mélodique jouée à la guitare acoustique par Johnny Marr a la légèreté charmante d’une crème chantilly (à tel point que son instrument ressemble presque à une mandoline), et le texte ne rentre pas dans le détail des émotions, n’évoque ni larmes ni cris – mis à part la requête plaintive, « Would you please / let me see her » . Il n’empêche, la douleur est là, sous-jacente. Et pour qui sait la sentir, en écoutant cette chanson, elle pousserait à s’approcher de ce garçon déboussolé et dévasté pour le soutenir, peut-être poser sa main sur la sienne…
« Girlfriend in a coma » est donc aussi une chanson sur la compassion, sur le devoir d’humanité que nous avons à l’égard de celles et ceux qui sont dans le chagrin – et quel pire chagrin que de voir emporté par la mort quelqu’un que l’on aime profondément…
« Girlfriend in a coma » est enfin une chanson politique. Dans « Death of a disco dancer » , Morrissey a cette formule terrible pour dénoncer ceux qui n’en ont rien à foutre, qui refusent de se prendre la tête et de se sentir concernés par les drames de leur époque: « I’d rather not get involved » . Ici aussi il accuse, l’air de ne pas y toucher, la société anglaise du milieu des années 80 d’être profondément indifférente à l’épidémie qui emporte ses ami(e)s. Sous la douceur de surface pointe une colère sourde.
Savoir parler de deuil avec lyrisme, sensibilité et tact, c’est très rare. C’est plus rare encore de le constater en chanson, spécialement dans la pop ou le rock.
Décidément, les Smiths sont un groupe fantastique, pour lequel j’ai une tendresse immense.