« La fille au roi Louis » (air traditionnel / Le Poème harmonique)

Voici un air traditionnel qui m’émeut beaucoup, car il a la beauté, la naïveté et le charme de l’enfance (et aussi pour une autre raison plus personnelle que je vais dire après).

Cette chanson est insérée dans un superbe album de l’ensemble baroque Le Poème harmonique, intitulé « Aux marches du palais: Romances & complaintes de la France d’autrefois ». On trouve dans ce disque des airs populaires et traditionnels créés entre le XVème et le XVIIIème siècles, dont certains sont entrés dans le patrimoine culturel (« En passant par la Lorraine » , « J’ai vu le loup le renard et la belette » , « La complainte de Mandrin « …), mais dont la plupart sont désormais oubliés.

Il y a pour moi quelque chose de très touchant dans le fait d’écouter ces airs en me disant qu’un jour, ils ont été entonnés lors de veillées familiales ou de fêtes de village, ou à l’occasion de banquets dans des châteaux, sans doute avec beaucoup d’entrain et de joie, aussi bien pour les nobles en pourpoints que pour les paysans en haillons.

Dans le texte de présentation de cet album, le chef d’orchestre du Poème harmonique Vincent Dumestre souligne que ces chansons sont des « chefs d’œuvre d’écriture mélodique, à mi-chemin entre le populaire et le savant » , et que cette musique « parle à la fois à notre sensibilité de mélomane et à notre âme d’enfant » . Avec les siècles, ces airs sont devenus des « chansons d’enfance « , badines et bucoliques, et de ce fait ils parlent à nos mémoires – en tous cas à la mienne.

Les instruments utilisés dans ce disque sont d’époque: le tambour, la viole, la flûte, le cornet à bouquin, la vièle à roue, la citole (une guitare sarrazine à cordes pincées aussi appelée maurache), la théorbe… Les paroles sont chantées en vieux français, avec la prononciation d’alors (avec une mention spéciale pour la voix splendide de la soprano Claire Lefilliâtre). Cette impression d’authenticité donne plus de poids au message que portent ces chansons – le plus souvent elles racontent une histoire ou un drame dont on peut tirer une morale.

Dans notre société moderne, industrielle et citadine, ces chansons semblent surgir d’un monde clos et d’un temps répétitif qui n’ont plus du tout la cote: nous sommes tellement habitués à ce que ça aille vite, à ce que ça claque, à ce que ça nous mette en communication avec d’autres cultures, à ce que soit « moderne » , à ce que ça innove, à ce que ça « disrupte » – la tradition, pouah, c’est rance et étriqué…

Mais personnellement je suis très touché par ces chansons, un peu pour les mêmes raisons que ce qui me fait aimer « Carte postale » de Francis Cabrel, par exemple: elles décrivent des vestiges d’un monde suranné, qui avait ses travers, bien sûr, mais qui a quelque chose d’assez fascinant, en témoigne en tous cas la mode du médiéval jusque dans les séries télévisées. Et quoi qu’il en soit, la musique populaire de cette époque me paraît tellement plus riche, tellement plus profonde et plus sensible que la variété d’aujourd’hui!

De ce disque, c’est cette berceuse superbement mélodieuse que je choisis d’extraire, grâce à mon amie Claire qui me l’a récemment fait redécouvrir. Pendant les vacances de Pâques, elle est venue passer une semaine à la maison, et elle a souvent chanté cet air de sa voix haut perchée, douce et charmante. À plusieurs reprises lors de son séjour, notamment lorsque nous étions tous les deux durant le dernier week-end, son chant a ensoleillé la maison de joie et de candeur, et à chaque fois cela m’a rempli de gratitude, et cela m’a fait penser que je voudrais vivre plus souvent de tels moment: ne rien faire, et écouter le sourire aux lèvres.

De cette chanson pleine de magie, à la double montée en puissance (une au début, instrumentale, pour exposer le thème, et une à la fin, chantée), j’aime aussi les paroles, délicieusement romantiques.

« La fille au roi Louis » raconte l’histoire d’une jeune femme éprise d’un beau chevalier prénommé Déon. Son père ne veut pas de leur union car il a pour sa fille d’autres projets de mariage, et il tente de la faire plier y compris par la menace… mais elle résiste tant qu’elle peut:

« – J’aime Déon, je l’aimerai

J’aime Déon pour sa beauté,

plus que ma mère et mes parents,

et vous mon père, qui m’aimez tant.

– Ma fille, il faut changer d’amour,

ou vous entrerez dans la tour.

– J’aime mieux rester dans la tour,

mon père, que de changer d’amour. »

La fille du roi est si inflexible qu’elle choisit de faire semblant de mourir, provoquant le chagrin de son père: le jour où « on l’a portée à Saint-Denis » , le roi « [alla] derrière en pleurant » . Mais le long du cortège, le beau Déon, s’approchant de son cercueil, « tira son couteau d’or fin / et décousit le drap de lin: en l’embrassant, fit un soupir, / la belle lui fit un sourire » . Un petit côté « La belle au bois dormant » .

Face à tant de détermination, le roi finit par se résoudre à accepter et à donner sa bénédiction à l’amour des deux tourtereaux:

« Sonnez trompettes et violons,

ma fille aura le beau Déon.

Fillette qu’a envie d’aimer,

père ne peut l’en empêcher. »

J’avais bien dit que c’est délicieusement romantique 😉

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