Spike Jonze – « Her »

J’ai enfin vu hier soir « Her » , un magnifique film de Spike Jonze, qui date un peu (2013), mais qui développe une vision saisissante de ce qu’est en train de devenir la société contemporaine.

Incarné par Joaquin Phoenix, impeccable et terriblement émouvant, un homme au nom un peu bizarre (Theodore Twombley), hipster mélancolique, hypersensible et dépressif depuis une séparation qui l’a laissé exsangue et à laquelle il ne veut pas se résoudre (il n’arrive même pas à signer les papiers pour le divorce), se laisse petit à petit happer dans une histoire d’amour avec une intelligence artificielle à la voix suave et sexy, qui l’envoûte parce qu’elle, à la différence des vivants de chair et d’os, est capable de l’écouter, de le comprendre, de s’adapter à sa personnalité et de paraître intelligente, empathique et drôle.

Je ne vous spoile pas l’histoire, mais disons juste qu’elle illustre de façon poignante la déshumanisation à l’oeuvre via la technologie et les réseaux sociaux, et la solitude et l’abandon affectif qui en résultent.

Tout au long du film, Theodore passe d’un espace cliniquement propre, rangé et désincarné à un autre (des open spaces, un appartement design et nickel chrome, le métro et ses passerelles vitrées, les rues d’une ville légèrement futuriste et pleine de gratte-ciels, perpétuellement baignée d’une lumière aveuglante). Il croise ça et là quelques personnages qui, pour la plupart, sont eux aussi scotchés à leur IA personnelle, avec qui ils discutent comme si rien d’autre n’existait.

L’histoire se déroule en 2025. On y est presque, et si c’est ça l’avenir des relations humaines et affectives, ces relations lisses et mécaniques, ces gens tristes à en mourir, je crois que j’aime autant me pendre tout de suite.

Mais heureusement il y a une porte de sortie. Theodore se débat avec ses difficultés à communiquer et à s’intéresser à autrui, il est compliqué et ça ne doit pas être simple de vivre avec lui. Mais il trouve l’amour là où il le peut, il exprime des émotions, il apprend à montrer sa vulnérabilité et son besoin d’amour et de consolation, et il est assez à l’écoute de lui-même pour refuser qu’on lui fasse honte d’avoir une relation affective avec un programme d’ordinateur.

Et puis cet homme a des amis, notamment une jeune femme elle aussi paumée depuis une séparation toute récente. Une tête posée sur une épaule, sur le toit d’un immeuble, laisse entrevoir une possible fin de la traversée du désert.

« Her » est un film d’une beauté suffocante (avec qui plus est une magnifique BO signée Arcade fire), qui a remué en moi la même tristesse et la même faim d’amour que celles qui suintent par toutes les pores de Theodore.

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