Après un cinquième album particulièrement sombre, tourmenté et même sauvage (« Tender prey »), que les aficionados ont acclamé mais avec lequel j’ai personnellement du mal (trop bruyant, trop désordonné pour moi), Nick Cave propose en 1990 un sixième opus qui s’éloigne du post-punk et qui marque le retour à des ambiances et des thématiques bien plus lumineuses et apaisées, plus matures aussi.
C’est qu’entre temps, des épisodes heureux ont marqué sa vie: une cure de désintoxication, et une relation naissante avec une jeune styliste brésilienne, Viviane Carneiro. Nick Cave est alors un homme amoureux, qui se remet à croire à la beauté de la vie et à l’avenir qu’elle lui réserve.
L’album, « The good son », porte la trace de cette sérénité retrouvée. Aux chansons torturées, aux mélodies déstructurées et au phrasé guttural succèdent des ballades harmonieuses et faisant la part belle au piano, chantées par une voix de crooner langoureuse, et parfois même par une chorale doucereuse (« Foi na cruz »). Presque toutes les chansons sont empreintes d’une certaine torpeur (« The ship song »). On dirait que c’est le repos du guerrier après des difficiles combats, notamment celui contre l’alcool et la drogue.
Cela dit, l’assagissement n’exclut pas une certaine tension, notamment sur cette chanson, qui est à mon avis la pièce maîtresse de l’album.
Musicalement, « The weeping song » est caractéristique de ce retour au calme, illustré dès le début par une mélodie enfantine joué au vibraphone, puis tout au long du morceau par une guitare western réverbérée, des coups de timbale et des clochettes délicates et discrètes, et par des claps de mains qui donnent une tonalité flamenco.
Mais la thématique est profonde et poignante. « The weeping song » propose en effet un duo entre deux voix masculines, celle de Nick Cave et celle du guitariste Blixa Bargeld. Les deux hommes se lancent dans une réflexion sur la façon dont les hommes se dépatouillent face aux difficultés de la vie, l’un posant à son père les questions fondamentales qui l’assaillent au moment de se lancer dans le grand bain de l’existence: « Father, why are all the women weeping? / They are weeping for their men / Then why are all the men there weeping? / They are weeping back at them« .
Plus émouvant encore, ce fils ose demander à son père ce qui le bouleverse, quelles sont les blessures qui jettent une ombre sur sa vie: « Oh father, tell me are you weeping? / Your face seems wet to touch« .
La beauté de ce texte, je trouve, vient de ce qui émerge de ce dialogue entre un père et un fils: de l’espoir et de la confiance. Oui, il y a et il y aura encore de la détresse, mais si tu sais accueillir les opportunités de joie qui surgiront derrière, elle ne durera pas forcément longtemps…
Alors vas-y, mon bonhomme, avance, ose, lance toi. Tant que tu seras à portée, je serai là pour te couver du regard.
« This is a weeping song
but it won’t be weeping long ».