Quand j’étais enfant, mes parents n’écoutaient quasiment jamais de jazz, sauf cet album de Louis Armstrong, « The good book » , qu’ils mettaient de temps en temps sur la platine.
À l’époque je ne savais pas, bien sûr, que Louis Armstrong était un immense artiste qui a contribué à transformer une musique de folklore afro-américaine initialement enracinée dans un terroir précis (les États esclavagistes du sud) en un courant musical national et populaire, apprécié de façon universelle. Quant à la dimension religieuse, culturelle, sociale et politique de ce disque, la protestation vibrante contre le scandale de l’esclavage, elle me passait tout à fait au dessus de la tête – j’étais bien trop jeune pour la découvrir par moi-même en écoutant des paroles en anglais.
Avec le recul, c’est peut-être ça qui est le plus génial dans « The good book » : Louis Armstrong est parvenu à faire passer des messages puissants dans une musique incroyablement légère et joyeuse, qui lui a valu l’un des plus importants succès de sa carrière et de l’histoire du jazz, et qui ont même réussi à émouvoir le petit garçon que j’étais.
Quand je réécoute aujourd’hui ce gospel, j’y entends la dimension mystique et méditative, l’hymne à la liberté, la gratitude à l’égard du créateur. Mais je suis encore plus frappé par le côté jubilatoire, bluesy, dansant, et presque sexy (écouter par exemple la légèreté des merveilleuses notes de piano à 1’14). La voix rauque et chaude de Satchmo nous cajole, ses éclats de trompette tonitruent avec joie, et le superbe Sy Oliver Choir fait le reste. Comme le reste de l’album, cette chanson est un chef d’oeuvre touché par la grâce, à l’allégresse communicative, qui me transporte en un instant quelque part entre un champ de coton et une église emplie de rires et de chants.
« Let my people go! »