« Celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non: car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus.
Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on moi? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où donc est ce moi, s’il n’est ni dans le corps ni dans l’âme? Et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables? Car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. »
(Blaise Pascal, « Pensées », B. 223)
J’aime cette vision désabusée et réaliste de l’amour. On n’aime une personne que parce qu’on aime ce que l’on aime en elle, voilà tout (sa beauté, sa gentillesse, sa générosité, son intelligence, sa culture, son humour, sa sensualité…).
Même lorsque tout cela est réuni dans une seule et même personne, je n’ai jamais trop cru en ces histoires d’ « âme soeur », et maintenant plus du tout. Les hasards de la vie font que cette personne, j’aurais pu ne jamais la rencontrer, elle et/ou moi aurions pu ne pas être « disponibles » lors de notre rencontre… Et puis il y a tellement d’humains sur terre qu’il y en a forcément un qui lui plairait davantage que moi, et sans doute une qui me plairait davantage qu’elle ne me plaît…
Bref.
Ce texte de Pascal, éblouissant comme d’habitude, j’ai envie de le lire aussi comme une invitation à cultiver et à exprimer les « qualités » en soi, notamment (pas seulement mais notamment) pour se rendre aimable aux yeux de la personne que l’on aime et qui partage notre vie.
Parce que si on l’aime, cette personne, c’est d’abord pour soi, pour la joie, le plaisir, la liberté et la sécurité que l’on ressent à son contact, et qui nous apaise et nous élève – c’est d’abord parce qu’elle nous fait du bien à nous.
Bien sûr, cela n’exclut pas d’être résolument décidé à faire aussi du bien à cette personne aimée, en lui apportant la joie, le plaisir, la liberté et la sécurité dont elle aussi a grand besoin.