Le fait que je partage aujourd’hui cette chanson étonnera sans doute celles et ceux qui suivent cette playlist depuis ses débuts, car habituellement je voyage dans des continents musicaux très différents de celui-ci. En tous cas ce sera une surprise pour mes proches, car ils savent que je ne suis pas fan de Céline Dion, ni de Jean-Jacques Goldman, qui a écrit et composé en 1998 l’album dont est extrait cette chanson (« S’il suffisait d’aimer » ).
Mais lorsque l’un travaille pour l’autre, il se passe souvent quelque chose sur un point qui est quand même essentiel en musique: au lieu de transformer le chant en performance sportive, comme elle le fait si souvent (notamment dans sa carrière américaine), Céline Dion se contente de chanter d’une voix douce, précise, aérienne, et que je trouve très belle et émouvante. C’est notamment le cas dans cette chanson, en particulier dans la jolie mélodie des couplets et dans les magnifiques « lalala » finaux.
« En attendant ses pas » est une version même pas vaguement modernisée de l’attente du prince charmant: ces mots écrits par JJG (« Je ne sais s’il est blond, s’il est brun / Je ne sais s’il est grand ou pas / Mais en entendant sa voix je saurai / que tous ses mots, tous seront pour moi » ), ils n’ont rien de nouveau par rapport au « Some day my prince will come » que l’on entend dans « Blanche-Neige » . 51 ans ont passé, mais le mythe s’exprime ici de la même façon.
Car oui, je sais, le prince charmant est un mythe. Il n’existe pas, nulle part, et celle (ou celui) qui se met en tête de le trouver peut déjà préparer son habit de moniale (ou de moine).
Et oui, les amies, je sais aussi que le prince charmant est un concept qui a été inventé pour embastiller les femmes, pour les socialiser à des rôles sexués dans lesquelles elles sont dominées par un homme auquel elles se remettent, sans lequel elles ont la conviction de n’être rien, pour le confort et le bonheur duquel elles vont « se dévouer » , à qui elles vont « donner un enfant » , et dont elles vont parfois prendre le nom.
Cette dimension de soumission au regard et au désir de l’homme apparaît en effet dans cette chanson (« En attendant ses pas, je vis, je rêve et je respire pour ça« ; « Ne surtout pas / qu’il me surprenne comme ça » ). C’est quelque chose qui ne me fait pas du tout envie. Quel intérêt de vivre avec une personne qui est à ce point dépendante affectivement, à ce point impressionnée, à ce point dressée à aller au devant du moindre désir de son conjoint, qu’elle en devient totalement inhibée en sa présence, au point de perdre toute personnalité? J’ai au contraire envie de vivre avec une femme qui a son univers à elle, dans lequel elle me fait une place pour m’accueillir, comme je l’accueille dans le mien. Avec une femme qui ose se montrer fragile et vulnérable, qui n’a pas peur de s’offrir, mais qui sait qu’elle mérite d’être pleinement respectée, et qui affirme avec sûreté ses besoins, ses désirs, ses goûts, ses passions, ses activités, ses espoirs, ses projets… Une femme accomplie, une femme complète.
Dans cette chanson du duo Goldman / Dion, il est vrai que le désir d’amour est en partie décrit comme une attente très passive, dans laquelle c’est l’homme qui conquiert, qui choisit son élue, et qui décide du lieu et du moment (« En attendant ses pas, je mets la musique en sourdine, tout bas / Trop bête, on ne sait pas, s’il sonnait, / si je n’entendais pas cette fois » ; « Un soir? Un matin? Un hiver, une aube, / un printemps qu’il choisira » ; « Il y a de l’eau fraîche et du vin / Je ne sais pas ce qu’il choisira » ).
Il est vrai aussi que la femme qui chante est ici cantonnée du côté de « l’éternel féminin », de la patience, de l’effacement, de la douceur, du soin voire de l’assujettissement aux autres, du souci de l’esthétique (« En attendant ses bras, je peins des fleurs aux portes / Il aimera ça » )…
Mais d’abord ce sont là des comportements qui ne sont pas réservés aux femmes (même s’ils sont plus socialement attendus chez elles). Par exemple cela fait un bout de temps que « Je mets des lumières / les nuits au bord des chemins » , en semant des chroniques musicales en forme de lucioles, où je parle de la tristesse qui accompagne ma solitude, et de mon envie d’être rejoint. Cela fait un bout de temps que j’attends des pas qui traceront le même chemin que les miens.
Et puis surtout, cette attente amoureuse, elle peut s’exprimer en direction d’un concept (le « prince charmant » ), d’un homme imaginaire qui n’existe nulle part… Mais elle peut aussi être adressée à une personne réelle, homme ou femme, que l’on connaît et qui nous connaît de façon intime, avec laquelle on a déjà longuement échangé sur les dimensions essentielles de la vie, dont on est tombé sous le charme, et qu’on languit de rencontrer enfin (« J’y pense tout le temps à cet instant » ), pour valider dans la vraie vie les sentiments que l’on éprouve pour elle. Alors il ne s’agit pas de rêver de la rencontre, mais de la provoquer, de s’y préparer, de la rendre belle, et de faire son possible pour qu’elle se se prolonge.
« En attendant le doux temps de ses bras »