En 2003, l’actrice Jeanne Balibar, formée au Conservatoire supérieur d’art dramatique de Paris, sort un premier album particulièrement réussi, « Paramour » .
Le disque suivant s’appellera « Slalom dame » , et dans une interview accordée à sa sortie, la chanteuse expliquera que si elle aime le slalom, c’est parce qu’au départ on ne voit pas l’arrivée, on sait juste que ça va beaucoup tourner et qu’il va falloir ne pas trop craindre ce qu’on pourrait découvrir après ce virage, puis après celui-là, et après cet autre… C’est une jolie métaphore de la vie, je trouve (le bonheur se présente de façon tellement inattendue et tellement bouleversante!), mais aussi de la richesse, de la variété et de la surprise que Jeanne Balibar aime à distiller dans ses chansons.
Ce premier album, « Paramour » , je ne l’ai pas beaucoup écouté, mais j’ai immédiatement été séduit par ce titre magnifique, envoûtant et terriblement séducteur.
Envoûtant, « Le tour du monde » l’est d’abord pour les textes intimes et audacieux, par lesquels Jeanne Balibar se montre tour à tour frivole et captive (« Je veux être une enfant qu’on garde / me faire enfermer en première » ), farouche et capricieuse (« Mettre en joue et tirer à vue / ce dont je n’ai plus envie » ), insaisissable et troublante (« Un chemin de croix en croisière » ), téméraire et fière (« Je veux mettre un terme aux rumeurs / avoir un amant officiel » )… C’est peu dire que dans les relations qu’elle entend établir avec son « paramour » (amant ou maîtresse en anglais), cette femme n’a pas froid aux yeux.
Si j’ai tout de suite beaucoup aimé « Le tour du monde », c’est aussi pour la musique élégante, brumeuse et soyeuse qui accompagne Jeanne Balibar, et dont émergent quelques notes légèrement stridentes de la guitare électrique de Rodolphe Burger, au son si immédiatement reconnaissable.
Mais envoûtante, cette chanson l’est surtout par la voix de Jeanne Balibar: une voix au grain curieux, grave, suave et sexy, un tantinet rétro, mature mais qui laisse parfois transparaître quelques accents enfantins – tout cela me fait penser à celle de Fanny Ardant. On sent bien que Jeanne Balibar n’est pas une chanteuse professionnelle, et comme souvent, le mélange d’hésitations, de maladresses et d’imperfections qui en résulte est très troublant. À mon goût, c’est même justement cela qui rend son interprétation si touchante, « d’une tristesse majestueuse » (une belle formule signée Joseph Ghosn dans les Inrockuptibles).
Même la pochette de l’album joue sur le charme du mystère: Jeanne Balibar y apparaît dessinée, la tête baissée et les yeux mi-clos, insondable, sans qu’on sache si c’est par timidité ou par volonté de maintenir une certaine distance.
« Le tour du monde » , c’est la magnifique expression du désir d’une femme à la féminité majuscule. Une femme complète, intensément cérébrale, intensément sensible, intensément généreuse et intensément sensuelle. Une femme secrète et fragile, mais qui prend confiance en elle et qui expérimente sa puissance et sa liberté. Une femme qui a le courage de dévoiler sa vulnérabilité, de s’offrir et de demander ouvertement ce dont elle a besoin, mais dont on sait d’emblée qu’elle ne s’en laissera pas conter, qu’elle ne se laissera pas dompter, qu’elle ne se laissera pas mener par le bout du nez, parce qu’elle sait qu’elle mérite le respect.
Le genre de femme qui déclenche dans ma poitrine une vibration délicieuse, et avec laquelle j’ai très envie de mettre en œuvre la « révolution romantique » dont parle Victoire Tuaillon dans son podcast « Le coeur sur la table » .
« Regarder dans ma longue vue
le relief de ma longue vie »