Alain Bashung – « Madame rêve »

Sortie en 1991 sur l’album « Osez Joséphine », « Madame rêve » est considérée comme l’un des plus grands chefs d’oeuvre d’Alain Bashung par de très nombreux fans, et surtout, je l’ai remarqué, par des femmes.

« Coïncidence? Je ne pense pas. »

Parce que comme le savent celles et ceux qui l’ont écoutée attentivement, cette chanson est un hommage vibrant et fasciné au désir et au plaisir féminins, à travers la description d’une femme qui rêve « de vagues perpétuelles / sismiques et sensuelles » , « d’un amour qui la flingue, / d’une fusée qui l’épingle / au ciel » , et qui fantasme sur les objets qui lui permettraient d’accéder à la volupté (des « atomiseurs » , des « formes oblongues » , des « cylindres si longs qu’ils sont les seuls qui la remplissent de bonheur » …)

L’onanisme est un sujet particulièrement casse-gueule, et le risque ici était bien sûr de tomber dans la vulgarité, le voyeurisme ou l’obscénité. Dans « Variations sur Marilou » (1976), Serge Gainsbourg n’avait pas réussi à éviter cet écueil, comme souvent chez lui, malheureusement. « Elle arrive au pubis, / et très cool au menthol, / elle se self contrôle / son petit orifice / Enfin poussant le vice / jusqu’au bord du calice, d’un doigt sex-symbole / s’écartant la corolle » : cette description évoque moins les sensations et les émois d’une femme qui s’abandonne librement à ses propres impulsions que le regard d’un homme qui s’excite lui-même en l’observant avec concupiscence.

Le texte de « Madame rêve » est d’une toute autre classe. Écrit par Pierre Grillet dix ans plus tôt, il décrit une femme fuyante et fascinante, une certaine Natacha, dont le parolier fut d’autant plus amoureux qu’elle ne cessait d’apparaître et de disparaître. Les mots sont intimes, libres, enflammés et éminemment lascifs, mais ils restent pudiques et allusifs – tout cela étant peut-être la définition de l’érotisme.

Surtout, ce texte est bien loin du male gaze, au contraire il est tout entier centré sur cette femme, sur ses états d’âme et sur son plaisir, indépendamment de la présence à ses côtés d’un(e)partenaire amoureuse. Ce n’est pas une jeune lolita qui rêve, c’est une dame, et elle décide souverainement des contrées dans lesquelles ce rêve la fait s’envoler.

Bien sûr on peut être gêné par certains termes ou certaines images, je peux le comprendre. Mais l’important, je crois, n’est pas ce à quoi cette femme rêve (chacune ses fantasmes): c’est le fait que cette femme rêve, en toute innocence et en toute indépendance, à son propre plaisir et à ses propres manières d’y parvenir.

Sur ces paroles, Alain Bashung plaque une musique d’une élégance tout aussi superbe, notamment jouée par un orchestre de cordes dont l’un des « instruments » joue le thème en pizzicati, tandis que les vagues et le ressac des autres expriment la montée finale vers la jouissance. À 1’38, un piano vient parsemer quelques notes comme on caresse lentement et tendrement un corps alangui, en glissant les ongles le long de ses courbes, en soufflant sur sa peau et en le tapotant ici ou là des doigts, juste assez pour le faire frissonner.

Tout cela est lent, circulaire, progressif, excitant, comme des préliminaires qui, au final, se suffisent presque à eux-mêmes tant ils ont été agréables.

Presque, mais pas tout à fait.

« Madame rêve d’apesanteur »

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