The Beatles – « A day in the life »

« A day in the life » est la chanson qui clôture le huitième album des Beatles (« Sgt. Pepper’s lonely hearts club band », sorti en 1967). Ce n’est pas l’une des mes chansons préférées du Fab Four, loin de là, mais j’ai envie de la partager pour son côté déglinguo et psychédélique, qui a quelque chose de fascinant: on peut donc faire des trucs pareils dans la pop ou le rock?

C’est peu dire qu' »A day in the life » est une chanson extrêmement complexe, aussi bien pour ce qui concerne les paroles que pour la musique.

Les premiers mots semblent annoncer la description d’une scène de vie assez banale (« I read the news today oh boy« ), mais en réalité le texte va partir vers des directions variées, passant du coq à l’âne sans prévenir: ça parle de la mort de l’héritier des Guinness tué dans un accident de voiture, puis d’une expérience récente de John Lennon en tant qu’acteur, puis d’une guerre gagnée par l’armée anglaise, puis d’un souvenir d’enfance de Paul McCartney se dépêchant pour arriver à l’heure à l’école, puis de 4.000 nids de poule dans les rues de Blackburn et de l’Albert Hall de Londres, et enfin cela se termine par une allusion à peine voilée à drogue (« I’d love to turn you on« )… À vrai dire, je ne suis pas très amateur de ce genre d’écriture « surréaliste » – à mon avis un mot sympa pour ne pas dire « portnawak ».

En revanche, « A day the life » est une chanson qui m’impressionne particulièrement sur le plan musical.

À l’origine, John Lennon et Paul McCartney avaient en tête deux amorces de chansons, qu’ils ont choisi de réunir en plaçant celle de Paul au milieu de celle de John, et en intercalant entre elles deux fameuses et stupéfiantes « montées orchestrales ». Cela donne un morceau constitué de six sections: la première partie de la chanson de John, puis une montée orchestrale, puis une très courte chanson de Paul, puis la seconde partie du morceau de John, puis la seconde montée orchestrale, et enfin un accord de piano spectral qui résonne pendant 47 secondes. Cette composition alambiquée, d’autant plus délicate à mettre en œuvre que les deux leaders des Beatles ne savaient pas lire la musique, a nécessité de nombreuses prises et un travail de mixage et de synchronisation très approfondi et minutieux, à la limite de la maniaquerie.

Ce qui a rendu « A day in the life » très célèbre, c’est surtout le crescendo improvisé et apocalyptique qui intervient à deux reprises, d’abord à partir de 1’53, puis à 3’57. Venant remplir les 24 mesures qui au départ avaient été laissées vides, un orchestre de 40 musiciens, pour la plupart des membres du Royal Philharmonic Orchestra et du London Symphony Orchestra, a enregistré à la demande des Beatles « un immense crescendo qui partirait de rien pour arriver à quelque chose comme la fin du monde » (John Lennon). Comme ces musiciens classiques n’étaient pas habitués à jouer sans partition, le groupe a eu l’idée de transformer les studios Abbey Road en une sorte de salle des fêtes remplie d’amis divers et variés (notamment les Stones!), et il leur a fourni toutes sortes de déguisements pour les mettre à l’aise. Et là encore, ce crescendo a nécessité un gros travail technique – par exemple le son capté par ces 40 musiciens a été multiplié par 4 pour accentuer encore son effet saisissant et dramatique.

L’autre grande particularité du morceau est sa conclusion, qui est l’un des accords de piano les plus célèbres, ou plus précisément l’accord de pianoS le plus célèbre, car il s’agit en fait de l’enregistrement simultané d’un accord de mi majeur par les quatre membres des Beatles, sur quatre pianos différents. Il leur a fallu neuf tentatives pour réussir à attaquer la note de façon parfaitement synchronisée et pour obtenir cet effet de lente diminution du son qui ressemble à une agonie. Rarement un album se sera terminé de façon aussi spectaculaire et angoissante…

En tout et pour tout, le Fab Four a eu besoin de 34 heures réparties sur plus de deux mois pour enregistrer « A day in the life », auxquelles il a fallu ajouter des centaines d’heures de travail technique sur le son. Quel contraste avec le premier album du groupe, « Please please me », dont la légende dit qu’il avait été entièrement gravé en moins de dix heures!

En seulement sept ans (!), de la fraîcheur des commencements à cette chanson qui est l’une des plus complexes, les plus ambitieuses, les plus innovantes et les plus reconnues de l’histoire de la pop (le chef d’orchestre Leonard Bernstein a par exemple confié que « trois mesures de A Day in the Life me soutiennent toujours, me rajeunissent, enflamment mes sens et ma sensibilité« ), les Beatles ont tracé un chemin musical incroyablement riche et séminal.

Il y a des groupes que je préfère aux Beatles, que j’écoute avec plus de plaisir, de joie ou d’enthousiasme. Mais des groupes qui occupent une plus grande place dans l’histoire de la musique populaire, je ne crois pas qu’il y en ait eu un seul.

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