The Rolling stones – « Sympathy for the devil »

J’ai vraiment découvert et appris à apprécier les Stones il y a peu de temps seulement.

Il y a deux ans, je pensais que je ne les aimais pas trop. J’avais d’ailleurs commencé à écrire pour cette chanson une chronique qui expliquait pourquoi, et qui commençait ainsi.

« Si j’avais eu à vivre dans les années 60-70 la rivalité entre les Beatles et les Stones, soigneusement marketée par l’industrie du disque, et si j’avais du prendre le parti de l’un OU de l’autre, il est clair que j’aurais choisi le Fab four de Liverpool. D’ailleurs j’ai partagé plusieurs titres des Beatles dans mon année en musique, mais un seul des Stones (« She’s a rainbow » , qui plus est en disant que je trouvais que c’était la chanson la plus « beatlesienne » des Stones).

À vrai dire, ce n’est pas vraiment une question de musique, puisque je connais très mal la discographie des Stones.

C’est surtout la personnalité et le style de vie des deux groupes qui, à mon adolescence, a fait pencher la balance en faveur des Beatles. J’en connais qui les trouvent trop policés, trop lisses, trop « gendres idéaux » , mais c’est justement ça qui les faisait mieux correspondre à ma personnalité de l’époque (et aussi au milieu petit bourgeois cultivé auquel j’appartenais).

Inversement, j’ai toujours été assez agacé par le « Sex, drugs & rock’n roll » , dont les Stones sont peut-être l’incarnation la plus emblématique, en tous cas la plus célèbre. Pour être clair, les adultes éternellement encalminés dans les postures rebelles, et qui ne sont donc adultes que par l’âge mais pas par la maturité, à la longue ça me fatigue. L’adolescence, c’est une période qu’il vaut mieux traverser à fond (ce que moi-même je n’ai pas assez fait, malheureusement…), mais un jour il faut en sortir. Et je me suis toujours fait des Stones l’image d’un groupe de vieux adolescents, qui se complaisent dans les beuveries et les provocations gratuites…

Peut-être que je me trompe, peut-être que je me suis simplement laisser berner par une image sulfureuse de bad boys créée de toutes pièces par le marketing (le manager du groupe Andrew Oldham s’est un jour amusé à poser cette question: « Laisseriez-vous votre fille sortir avec un Rolling Stone? » )

Peut-être, mais c’est ainsi. Les Stones, j’ai longtemps pensé que c’est « pas ma came » , comme le dit une amie qui frémit peut-être en lisant ces lignes (désolé Val). Et ça ne m’a jamais perturbé, car de toutes façons il y a bien assez de bons groupes, de bons artistes et de bons compositeurs à aimer dans toute une vie. »

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Les lignes qui précèdent ont été écrites il y a plus de deux ans. Depuis j’ai changé d’avis, car je me suis replongé dans la discographie des Rolling Stones… et j’y ai trouvé des chansons que je trouve puissantes et même immenses. Celle-ci en est une.

« Sympathy for the devil » figure que l’album « Beggar’s banquet » (1968), qui ouvre ce qui est peut-être la période la plus faste du groupe, grâce à un retour aux sources de la country, du rock et du blues, mais aussi au fait qu’il surfe sur la vague de contestation qui enfle dans tout l’Occident (« Street fighting man » ).

« Sympathy for the devil » est la chanson la plus originale de l’album. Musicalement, c’est une samba endiablée, ce qui est pour le moins inhabituel dans le monde du rock, de même que l’utilisation des congas en percussions, ou les choeurs qui ponctuent le chant de Mick Jagger de brefs et sataniques « Ouh ouh! » à partir de 1’59… Tout cela s’ajoute à des notes de piano martelées sur un tempo infernal, comme dans un saloon enfumé au fin fond du Klondike, à un fameux solo de guitare convulsif de Keith Richards, et au chant teigneux de Mick Jagger, totalement déchaîné. La composition de ce morceau, épileptique, ou si l’on préfère tribale, est franchement extra-ordinaire. Ce n’est pas une chanson, c’est une espèce de cérémonie païenne, une danse vaudou menée tambours battants, sur un rythme littéralement infernal.

Infernal, c’est vraiment le mot qui convient, car le texte de « Sympathy for the devil » donne la parole à un personnage mystérieux, ironique et prétentieux (le diable en personne), qui se flatte d’avoir assisté à de nombreux épisodes de l’éternel combat entre le bien et le mal, et même d’avoir été à l’origine de beaucoup des forfaits et des atrocités sur lesquelles ce combat a débouché (« I’ve been around for a long, long years / stole million man’s soul an faith » ). Sont évoquées l’abandon de Jésus par Ponce Pilate, les guerres de religion en Europe, le massacre impitoyable de la famille Romanov, l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy et de son frère Robert…

Mais les Rolling Stones ne se bornent pas à dénoncer le mal dans une posture bien-pensante et confortable: tout au contraire, à la question « Who killed the Kennedys?« , la réponse apportée est « It was you and me » . Le diable dont parle cette chanson, le diable qui se glisse dans la gorge de Mick Jagger, ce n’est pas un personnage extérieur et que l’on pourrait tenir à distance avec force prières et exorcismes: il est en chacun de nous. Dans une interview parue à la sortie de l’album, Keith Richards le dira de façon très claire: « Nous sommes tous Lucifer » . Cela me fait penser à une magnifique et dérangeante formule du poète anglais W.H. Auden: « Le mal n’est jamais spectaculaire. Il a toujours forme humaine. Il partage notre lit et mange à notre table. »

Bref, avec cette chanson, c’est peu dire qu’on est très loin du « Peace and love » que John Lennon allait pour sa part essayer de diffuser dans la décennie suivante…

Dans le magazine Rolling Stone, Mick Jagger a fait l’éloge de « Sympathy for the devil » en ces termes: « Ce titre possède un groove hypnotique, c’est une samba avec un pouvoir hypnotique très fort, un peu comme un bon titre de dance. »

C’est peut-être une opinion immodeste, mais elle est totalement juste: incontestablement, « Sympathy for the devil » est l’une des chansons les plus grandes, les plus épiques et les plus époustouflantes de l’histoire du rock.

Désormais, j’aime les Stones.

« Please allow me to introduce myself

I’m a man of wealth and taste »

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