Claude Nougaro – « Toulouse »

À la fin de mes années d’étudiant, j’ai connu un copain qui disait souvent, pour désigner la ville où vivait, « Bourgoin-Jallieu centre du monde » . Pour qui connaît cette ville assez sinistre perdue au fin fond de la grande banlieue lyonnaise, ce jugement péremptoire a forcément quelque chose de ridicule, tout autant que lorsque Salvador Dali déclarait que la gare de Perpignan était le « centre cosmique de l’univers » .

Il se trouve que des années plus tard, mon petit frère et sa famille se sont installés à une quinzaine de kilomètres de Bourgoin-Jallieu, alors j’y passe souvent. Je n’ai pas changé d’avis sur la laideur si commune de cette ville dépourvue du moindre charme, mais comme des gens que j’aime fort vivent tout près, j’ai fini par m’attacher à ce coin, en tous cas à la gare est à ses environs immédiats.

Tout ça pour dire que je suis quelqu’un qui accorde une grande importance aux lieux. J’aime rêvasser devant des cartes ou Google maps, en me rappelant des moments que j’ai passés à tel ou tel endroit, ou plus simplement en pensant qu’une personne que je connais y vit, y travaille, y étudie, y jardine, s’y promène…

Je crois que cet attachement aux lieux est la raison pour laquelle j’ai toujours beaucoup aimé cette chanson de Claude Nougaro.

« Toulouse » est une déambulation musicale qui évoque de façon vibrante les toits et les tuiles roses de la vieille ville, « la brique rouge des minimes » , l’église Saint-Sernin qui illumine le soir, mais aussi les habitants anonymes qui la peuplent (les mémés qui « aiment la castagne » ), et le souvenir de « papa » dont Nougaro entend encore l’écho de la voix… Le texte a un aspect très cinématographique et même documentaire, il évoque un long travelling. Ce n’est pas si surprenant pour un chanteur qui a par ailleurs souvent dit son amour pour le grand écran…

Le plus étonnant dans l’histoire de cette chanson, c’est que Claude Nougaro a passé une enfance difficile à Toulouse. Quand il l’a écrite, il vivait à Paris et il était dans une période très compliquée de sa vie, si bien que la première version du texte était dure, amère, pétrie par des souvenirs douloureux (« Mon cartable est bourré de coups de poing » ), peuplée de mots beaucoup plus moroses que roses. Mais sur les conseils de sa seconde épouse, il a finalement tenu à en faire « un chant d’amour et non un chant de rancune » , comme elle l’a raconté elle-même.

De fait, « Toulouse » est l’une des plus magnifiques déclarations d’amour qui soient au lieu d’où l’on vient, dont on a arpenté les rues pour aller à l’école, qui nous a façonné, qui fait partie de nous et qui nous appartient viscéralement (« Ô mon paîs » ). Le lieu dont il suffit d’entendre parler pour se sentir terriblement nostalgique (« Pourrais-je encore y revoir ma pincée de tuiles? » ), et ce sentiment m’est si familier qu’ici il me serre le coeur.

Pour Claude Nougaro, le miracle de « Toulouse » est aussi que cette chanson lui a permis d’être reconnu par sa ville comme l’un de ses enfants les plus chers. Quinze ans après sa mort, les paroles d’une autre de ses chansons (« C’est une Garonne » ) figurent sur une plaque des quais, une statue en bronze grandeur nature le représente dans un square à deux pas du Capitole, et les cuivres triomphants que l’on entend tout à la fin sont diffusés à chaque essai du Stade Toulousain (donc un paquet de fois par match!). En surmontant son premier mouvement de rancoeur, en rendant hommage au patrimoine de sa ville, en reconnaissant la part de bon qu’elle a inscrite en lui, Claude Nougaro est lui-même entré dans ce patrimoine. Il a même trouvé l’envie de revenir y finir sa vie, dans un loft face à la Garonne. Je trouve que c’est un bel exemple de réconciliation avec son passé.

Mais quand même, la nostalgie et le déracinement…

« Qu’il est loin mon pays, qu’il est loin »

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